S'IL EST UN compositeur peu productif depuis quelques décennies, Pierre Boulez est un excellent chef d'orchestre qui, à quatre-vingts ans passés, a une enviable activité. Après son marathon Mahler à Berlin (voir « le Quotidien » du 23 avril), le Holland Festival lui rend massivement hommage car, outre sa participation à « De la Maison des morts », Pierre Boulez aura dirigé son oeuvre « Pli selon pli » au Concertgebouw et, pour un concert unique, le Mahler Chamber Orchestra sorti de la fosse de Janácek.
Ce concert était donné dans la nouvelle salle de musique construite sur l'IJ, le Muziekgebouw aan't IJ, un spectaculaire bâtiment de verre qui prolonge le Terminal maritime de la zone portuaire nord en pleine réhabilitation urbaine. Acoustique impeccable pour cette belle salle de 730 places qui se prolonge sur l'eau avec une terrasse d'où la vue est imprenable, surtout au coucher du soleil. Programme sur mesure, des oeuvres que Boulez aura chéries pendant toute sa carrière : la version pour orchestre de chambre de « la Nuit transfigurée » de Schoenberg, jouée avec une clarté et une concentration admirables. Les « Quatre Pièces pour orchestre » op. 12 de Bartók, qui sont probablement dans leur densité et leur variété ce que l'on peut imaginer d'idéal pour mettre en valeur le talent de ces jeunes instrumentistes. Et la « Suite Pulcinella », bijou de la période néoclassique de Stravinsky, un classique boulézien ciselé par le chef français comme un pur diamant.
Mais ce ravissement dans le raffinement esthétique n'était rien en regard du choc procuré par l'opéra où se reformait le trio Boulez, Chéreau, Peduzzi, qui a réalisé à Paris en 1979 la « Lulu » de Berg et, à Bayreuth, en 1976, le « Ring » du Centenaire que l'on sait. Après quelques déceptions récentes du travail de Patrice Chéreau hors de ce contexte, force est de constater que l'on ne devrait jamais changer une équipe qui gagne !
Une mise en scène de référence.
L'oeuvre lyrique de Janácek – une succession de chefs-d'oeuvre qui s'imposent désormais au répertoire de tous les temples de l'opéra – est en revanche une première pour Boulez. Il s'y impose d'emblée en maître de cette dynamique rythmique si singulière, de ce mélange savant des timbres instrumentaux, toujours prêt à faire ressortir de la masse orchestrale, qu'il traite avec la clarté qui lui est coutumière, l'instrument qui, au moment précis de son intervention, a une signification dramatique particulière.
Mais surtout, il traite cet opéra du désespoir avec une humanité et une tendresse qui débordent de la fosse (le superlatif Mahler Chamber Orchestra) et enrobent un spectacle certes d'une grande beauté mais d'une plasticité plutôt glacée.
Chéreau, qui se pose en grand amateur de Dostoïevski, a réussi le tour de force de donner une grande unité à cette histoire de bagne, cet univers fragmentaire, dans lequel personne avant lui n'avait jamais donné un tel relief à chaque personnage. On ne parlera plus jamais – tout comme dans ses plus grandes réussites, « la Dispute » de Marivaux, « les Contes d'Hofmann » d'Offenbach, le théâtre de Koltès, ou encore « la Tétralogie » de Wagner – de « la Maison des morts » sans faire référence à cette mise en scène.
Peduzzi a créé pour ce bagne bien peu sibérien de grands murs gris qui se déplacent, créent des espaces, et Chéreau montre la vie de tous les jours dans son sordide comme dans sa transcendance notamment dans l'acte de la pantomime où jamais l'on n'avait imaginé qu'il y eût tant d'érotisme et même d'homoérotisme.
Les chanteurs sont aussi grandement redevables de la réussite de ce travail. Autant Olaf Bär en Gorjantschinov, que le déchirant jeune prisonnier tatar d'Erik Stoklossa, Mark Ainsley, Peter Staka, Heinz Zednik, on aimerait les citer tous et les féliciter tant leurs individualités se fondent en un ensemble qui n'est jamais un agglomérat.
On pressera tous les amateurs concernés à se précipiter pour voir cet immanquable spectacle au prochain Festival d'Aix-en-Provence ou dans les théâtres qui l'ont coproduit, d'autant que Pierre Boulez a annoncé que ce serait là sa dernière participation à un spectacle lyrique.
Holland Festival. Jusqu'au 24 juin. Renseignements et réservations : +31 (20) 523.77.87 et www.hollandfestival.nl. Prix des places : 8 à 145 a. Suivront de nouvelles chorégraphies du Nederlands Dans Theater, « Hamlet » par The Wooster Group, la première européenne de « Doctor Atomic » de John Adam et Peter Sellars à l'Opéra Néerlandais, « Babel » d'Elfriede Jelinek par le Burgtheater de Vienne et encore beaucoup d'événements dont une extension à Amsterdam du Festival du film de Rotterdam. Représentations dans le cadre du festival d'Aix-en-Provence les 16, 18, 20 et 22 juillet à 20 h. Prix des places : 195, 150, 90, 50 et 28 a.
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