LE TEMPS DE LA MEDECINE
De notre correspondant
Installé nonchalamment sur une branche d'arbre, le grand macaque qui voit arriver des visiteurs humains bondit aussitôt sur l'une de ses femelles, pour bien montrer que c'est lui le maître des lieux. Dans la volière voisine, un capucin propose, avec force mimiques, d'échanger son morceau de carotte contre une noix, puis s'en va la casser contre un muret en béton. Nous ne sommes ni dans un zoo ni dans un film, mais dans le centre de primatologie de l'université Louis-Pasteur de Strasbourg, qui abrite près de 700 singes dans un ancien fort construit par les Allemands peu après la guerre de 1870.
Créé en 1978 par Nicolas Herrenschmidt, le centre de primatologie (CdP) fut d'abord dévolu à l'étude du comportement des singes et accueille de nombreux scientifiques qui viennent passer quelques jours ou quelques semaines auprès des animaux. Ces derniers vivent en semi-liberté, dans des grands parcs grillagés, et s'abritent dans les nombreuses douves du fort lorsque le temps est trop froid. Le centre abrite 13 espèces de singes, communes ou rares, dont des macaques de Tonkean et des lémuriens, ceux-ci à des fins d'observation. Hormis les lémuriens malgaches, les singes sont tous originaires d'Asie et d'Amérique du Sud ; aucun ne provient d'Afrique, afin d'écarter tout risque de pathologie croisée.
Parallèlement à ses missions éthologiques, le centre fait office de pension pour les singes qui, moins chanceux que leurs congénères hébergés à vie dans le fort, seront utilisés par des laboratoires de recherche publics ou privés, notamment pour la mise au point de vaccins et de médicaments.
7 euros la journée
Le CdP, qui emploie 13 personnes, tire une large part de ses ressources de sa fonction de pension : pour un prix de journée de 7 euros, les laboratoires et instituts y font élever pendant quelques mois, voire quelques années, les singes dont ils auront besoin pour leurs travaux. Aujourd'hui, seulement 0,1 % des expérimentations animales sont effectuées sur des singes : l'Europe en utilise 15 000 par an, dont 3 000 pour la France, contre 2 millions de rongeurs. Comme l'explique le Dr Fanélie Wanert, vétérinaire et directrice adjointe du CdP, les singes sont non seulement chers - environ 3 000 euros pour un macaque rhésus, le plus fréquemment utilisé - mais aussi protégés par de nombreux textes internationaux et, en outre, difficiles à utiliser et dangereux pour l'homme. Souvent agressifs et incontrôlables après avoir atteint la puberté, ils sont beaucoup plus forts que ne le laisse croire leur physique et constituent surtout d'inquiétants réservoirs de virus. Dans ces conditions, ils ne sont utilisés que lorsqu'il n'existe aucune alternative ; et le recours aux grands singes les plus évolués, comme les chimpanzés, est dorénavant interdit.
Macaques et marmousets
Au CdP, les macaques sont les singes les plus nombreux, suivis par les petits marmousets, fragiles et élevés, eux, dans des pièces à l'ambiance tropicale. Comme ils se reproduisent facilement, ils sont vendus ensuite à différents laboratoires. De plus, lorsqu'un organisme a besoin de singes, il peut charger le CdP de jouer l'intermédiaire avec le pays « producteur » : le centre se charge alors de toutes les formalités d'achat, longues et complexes, et héberge le singe en quarantaine avant de le livrer à son nouveau propriétaire. Toutes ces procédures, sévèrement contrôlées, garantissent le bien-être des animaux et le respect de la législation. Le CdP veille à la qualité et à la sûreté des singes qu'il fournit aux laboratoires et au respect des normes éthiques. Il accueille en outre quelques macaques retraités, qui y finissent leur jours, atteints de cataracte, après avoir été utilisés pour des recherches en ophtalmologie.
, précise le Dr Wanert. En dehors des prélèvements sanguins et des analyses biologiques, son activité vétérinaire se concentre sur l'obstétrique et sur la traumatologie : les singes peuvent être extrêmement violents et belliqueux et infliger des blessures très graves à leurs congénères. Le personnel du centre est soumis à des contrôles sanitaires très stricts, en raison des risques liés à la manipulation des singes.
Les hautes murailles entourant le fort, les rangées de grillage et les réseaux de caméras visent moins à prévenir l'incursion d'éventuels commandos de libération des animaux qu'à protéger le centre, ses installations et ses pensionnaires contre des vols ou des dégradations.
« Nous travaillons dans la transparence, même s'il est impossible d'ouvrir le centre au grand public pour des raisons d'hygiène et de sécurité », précise la vétérinaire, qui apprécie que les Strasbourgeois aient surnommé le CdP
« l'hôtel des singes ».
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