DANS « la République », Platon raconte l’histoire de Léontios, qui, revenant un jour du Pirée, aperçut des cadavres étendus près du bourreau. Il ressentit à la fois horreur et fascination et finit par courir vers eux, se parlant à lui-même : « Voilà pour vous, mauvais génies, emplissez-vous de ce beau spectacle ! » L’auteur met en regard de cette ambiguïté le moment où Matthew Cornelius sort du World Trade Center un certain 11 septembre 2001. Il ne peut s’empêcher de regarder l’affreux mélange d’acier, de béton et de membres humains. Il reçoit alors cette injonction d’un pompier : « Circulez vers Broadway et ne regardez surtout pas à votre gauche ! »Fascinans et Tremendum..., de ce mélange d’attirance et de répulsion est composée la pulsion scopique.
Quand l’image ment.
Dominique Baqué est une spécialiste de l’art photographique, sur lequel elle a beaucoup écrit*. Considérant que de la violence, la guerre est « le paradigme le plus abouti », une partie importante de son travail porte sur le photo-reportage, ses prétentions à saisir la réalité « sur le vif » et surtout ses trucages et ses mensonges.
La guerre « moderne » se lie à des clichés célèbres : l’enfant famélique du Biafra, la petite Kim Phue s’enfuyant nue et hurlant sous un bombardement au napalm, moins dramatiquement mais déjà symbolique, le drapeau soviétique flottant sur le Reichstag. Mais l’image ment. Tels ces soldats français de la Grande Guerre escaladant une colline et qui auraient dû être pris du côté de l’ennemi. Faux, tout faux, le drapeau apporté spécialement a posteriori de Moscou. Reconstituée en studio, la célébrissime image des soldats américains à Iwo Jima, dont Clint Eastwood montrera l’aspect manipulateur dans « Mémoires de nos pères ».
Elle ment, n’est-ce pas pour la bonne cause ? L’image est un discours, ces hommes squelettiques du camp d’Omarska disent : « Vous voyez, ça recommence ». C’est en vrille que l’auteur rentre dans la question à la fois de la véracité, du point de vue et de la leçon de morale qui s’attache aux images. Jusqu’où, par exemple, le cinéma peut-il aller pour restituer le passé et doit-on suivre Alain Resnais lorsqu’il condamne toute mise en scène sur les camps ? De manière générale, l’auteur se demande s’il faut tout montrer au nom de la transparence, au risque aussi de la complaisance et de l’obscénité. D’autant que l’horreur n’est pas forcément loin de l’érotisme.
Ce travail formidablement documenté quant à l’histoire récente de la photographie rencontre opportunément nos deux écueils modernes. Le monde du simulacre généralisé dont parle Baudrillard et la confusion du réel et du virtuel. Qui va se soucier de trier moralement les images qui ont envahi notre vie ?
Domininique Baqué, « l’Effroi du présent », Flammarion, 265 p., 22 euros.
* En particulier, « la Photographie plasticienne, l’extrême contemporain », Éd. du Regard, 2004.
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