L'hôpital public offre aujourd'hui son premier gros mouvement d'humeur au ministre de la Santé. Trois intersyndicats de praticiens hospitaliers (la CHG, l'INPH et la CMH), alliés pour l'occasion aux fédérations santé de la CGT, de FO, de SUD et de la CFTC, orchestrent en effet une journée d'action et de mobilisation - parfois de grève (1). Au menu : des assemblées générales dans les établissements, des conférences de presse visant à alerter les médias locaux, des visites aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH).
Il est rare que médecins et agents protestent de conserve. La politique hospitalière de Jean-François Mattei, et particulièrement son projet de réorganisation interne de l'hôpital, fédère la colère. Nadine Prigent, secrétaire générale de la branche santé de la CGT, s'explique : « Le projet de nouvelle gouvernance n'est pas bon, ni pour les professionnels ni pour les usagers. C'est pour demander son retrait que nous avons formé un mouvement intersyndical avec les organisations de médecins. Le projet modifie profondément le rôle des médecins à l'hôpital, mais il nous concerne aussi, même si c'est moins direct. C'est ensemble qu'il faut lutter, car agents et médecins ont des intérêts communs : l'avenir de l'hôpital public, ses missions, ses besoins en emploi et en formation. »
Prévenu de longue date du mécontentement des hospitaliers et de leur demande d'ouverture de négociations (« le Quotidien » du 10 novembre), le ministre de la Santé n'a pas réussi à calmer les inquiétudes. Du côté des personnels, Force ouvrière s'indigne : « Le gouvernement, en cherchant à nous enfermer dans le cadre qu'il a lui-même établi, ne répond pas à notre demande portant sur l'arrêt du plan Hôpital 2007 et sur l'ouverture urgente de véritables négociations. » Du côté des médecins, confusion et incompréhension continuent de prédominer. Reçus à plusieurs reprises la semaine dernière par le cabinet du ministre et par Jean-François Mattei lui-même, les syndicats de praticiens hospitaliers (PH) ne savent pas toujours sur quel pied danser. En matière d'évolution des statuts, les propositions de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) de supprimer le concours de PH, de disjoindre nomination et affectation et de décentraliser la gestion du corps ne soulèvent pas franchement d'enthousiasme. Et sur le terrain de la gouvernance pure, l'expectative reste de mise. « Le cabinet semble évoluer au gré des jours et en fonction des interlocuteurs », s'étonne le Dr François Aubart, président de la CMH (Coordination médicale hospitalière).
Le ministre a fait oralement de nouvelles propositions aux PH. Il doit leur envoyer un texte écrit à la fin du mois, revoir les syndicats à la fin janvier. Sur certains points, Jean-François Mattei aurait mis de l'eau dans son vin (en matière, par exemple, de parité entre le directeur et le président de CME au sein du futur comité exécutif de l'hôpital). Sur d'autres, comme la nomination des chefs de services - les services seraient maintenus mais de fait affaiblis si leur tête est choisie par la direction de l'hôpital -, les divergences demeurent. « Nous ne pouvons souscrire à l'idée d'une subordination du médical à un pouvoir administratif et gestionnaire », réaffirme le Dr Pierre Faraggi, qui préside la CHG (Confédération des hôpitaux généraux). Le ministre de la Santé, en tout cas, ne veut pas perdre de temps. Il a déclaré à l'Assemblée nationale que la « large concertation » visant à modifier « l'organisation médico-administrative » de l'hôpital devrait aboutir en janvier, permettant à une éventuelle loi d'être votée « avant l'été ». En fait de loi, il se dit même que le gouvernement pourrait, pour réviser la gouvernance de l'hôpital public, procéder par ordonnances, dès le début de l'année.
Une perspective qui n'a pas poussé les syndicats à revoir leurs mots d'ordre. Les actions d'aujourd'hui auront lieu, elles se durciront le cas échéant dès le 22 janvier. Avec la bénédiction du Parti socialiste. « Mattei donne une réponse idéologique à la crise de l'hôpital public. Ce n'est pas de mise étant donnée l'importance, l'urgence et l'enjeu de la nécessaire modernisation de l'institution », assène le Dr Claude Pigement, délégué national du PS à la santé.
La guerre des pouvoirs est ouverte
Les syndicats ne partent pas défendre leur conception de l'hôpital public la fleur au fusil. Car le climat est pour le moins délétère à l'intérieur de l'institution. En touchant aux équilibres de la gouvernance, le ministre a certainement ouvert une boîte de Pandore. On l'a vu jusque dans nos colonnes, la guerre des pouvoirs, qui déchire médecins et directeurs mais aussi syndicats de médecins et présidents de CME, est bel et bien ouverte. Le mouvement d'aujourd'hui n'est vu d'un bon il ni par les cadres administratifs de l'hôpital, ni par les président de CME qui défendent la réforme et taxent les syndicats de « corporatisme » (voir ci-contre la réponse du Dr Rachel Bocher, présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers - INPH). « C'est un peu malsain, reconnaît le Dr Aubart, et le climat pourrait être moins tendu si le dialogue social était mené de façon différente. Pour mettre fin à cette situation, il faut que le ministre annonce clairement des arbitrages bien lisibles. »
(1) Appellent à cesser le travail la CHG, dont les psychiatres sont en particulier très remontés, et la FPS, adhérente de l'INPH.
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