Depuis quelques mois, à coups de déclarations chocs, de livres-charges, de communiqués et de contre-communiqués vengeurs, les médecins et les directeurs de l'hôpital public se livrent une guéguerre sans merci.
S'il faut trouver un début à ces hostilités, peut-être peut-on retenir la table ronde organisée en septembre 2002 par le Pr Jean-Michel Dubernard, président de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, sur le thème de l'organisation interne de l'hôpital public. A cette occasion, en effet, et dans la perspective du plan Hôpital 2007 - dont un volet concerne la « modernisation de la gestion interne des hôpitaux publics » -, les praticiens et les cadres ont donné le ton : les premiers ont réclamé un « pouvoir décisionnel », les seconds défendu leurs « compétences » propres de managers.
C'est à la suite de ce débat qu'une mission parlementaire, pilotée par le député-maire (UMP) de Saint-Malo, René Couanau, a été diligentée sur le thème de l'organisation interne de l'hôpital. Elle rend son rapport aujourd'hui et conclut au « désenchantement hospitalier ». Certaines de ses propositions, dévoilées par le magazine « Espace social européen » dans son dernier numéro, vont faire hurler ceux-ci ou ceux-là. Car René Couanau constate que l'hôpital pèche par son absence de vision stratégique, par un déficit d'autorité... Il dénonce le carcan administratif qui y prévaut, suggère que le président du conseil d'administration rénové de l'hôpital puisse nommer et le directeur et les praticiens hospitaliers chefs de service ou de pôle. Il prône l'intéressement des professionnels. Bref, il remet sérieusement en question l'architecture actuelle de l'hôpital.
Tout comme va le faire, à la fin du mois, le rapport commandé à trois médecins par le ministre de la Santé, Jean-François Mattei. Guy Vallencien, Antoine Perrin et Denis Debrosse sont en effet chargés depuis novembre de réviser les règles qui régissent l'organisation interne de l'hôpital, notamment en explorant les voies de la généralisation des pôles d'activité, de la contractualisation interne étendue... Ils réfléchissent aussi à la rénovation des relations entre les acteurs au sein de l'hôpital. Très vaste programme, dont on connaîtra les grandes lignes dans quinze jours, et qui donne depuis quatre mois des sueurs froides aux principaux intéressés : les médecins et les directeurs.
Un contexte facteur de désarroi
A eux seuls, les projets du ministre pourraient expliquer l'inquiétude des uns et des autres. Le fait qu'ils arrivent dans un contexte financièrement troublé n'arrange rien. « Je vois deux raisons aux querelles, explique Gérard Vincent, le délégué général de la FHF (Fédération hospitalière de France), la première est conjoncturelle. Elle est liée aux difficultés budgétaires : tant que l'hôpital avait de l'argent, les médecins obtenaient tout ce qu'ils voulaient, il n'y avait pas de problème. Or ce n'est plus le cas. La seconde raison est sociologique. L'hôpital est devenu une institution très complexe dans laquelle ???? qui ne peut plus être gérée de manière artisanale. »
Contraints par les sous et par l'évolution de se remettre en question, les médecins comme les directeurs ont manifestement du mal à balayer devant leur porte. Il se trouve aussi peu de directeurs pour avouer qu'ils agissent parfois en autocrates que de médecins pour reconnaître qu'ils se sont souvent désintéressés de champs administratifs logiquement investis par d'autres.
Dans leur livre pamphlet (« Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus »), les Pr Philippe Even et Bernard Debré mettent le feu aux poudres en accusant l'administration de tous les maux et en qualifiant les directeurs de « nouveaux mandarins » de l'hôpital public. Contre-attaque immédiate du SNCH (Syndicat national des cadres hospitaliers) : « Les féodalités internes minent depuis trop longtemps l'hôpital de l'intérieur. (...) L e folklore ne fait pas avancer le débat. » L'Académie de médecine s'en mêle, fustige « l'hégémonie administrative » et dénonce « le lobby des directeurs d'hôpital »... et ainsi de suite.
L'épine des directeurs de soins
Le malaise est particulièrement évident avec l'affaire, toujours en cours, des « directeurs de soins ». Rappel. Au printemps dernier, les médecins hospitaliers ont découvert avec horreur qu'un corps infirmier avait été créé, chargé, entre autres, de la coordination générale des activités de soins d'un service. Ils y ont vu le déplacement de la responsabilité de l'organisation des soins - la leur jusqu'à présent - vers un directeur subordonné au chef d'établissement et ont combattu sur tous les fronts le texte statutaire incriminé. En passe d'obtenir gain de cause pour une modification des phrases qui fâchent, les médecins se sont heurtés à la défense très organisée des cadres, qui n'ont pas hésité à faire grève sur ce dossier au début du mois.
Grosse épine dans les rapports entre médecins et directeurs, la question des directeurs de soins est symptomatique. Car si on la regarde de près, sans prêter d'intention maligne au « réglementateur », on s'aperçoit que tout est affaire de mots. La formulation du texte est maladroite. Il y a malentendu, est-on tenté de dire. Or cela vaut, quand on écoute les uns et les autres, pour tous les sujets en débat.
Car enfin, les médecins veulent-ils diriger l'hôpital ? Bien sûr que non. « Ils ne revendiquent pas un hold-up sur les responsabilités et les compétences des directeurs », affirme le Dr François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Le Dr Pierre Faraggi, président de la Confédération des hôpitaux généraux (CHG), est sur la même ligne (voir ci-dessous). C'est au nom d'un rééquilibrage des responsabilités que les médecins, qui n'ont sans doute pas vu passer le train des directeurs, montent au créneau. « Ce qui se passe est peut-être un peu la rançon du succès des directeurs ; analyse Gérard Vincent, l'administration est contestée parce qu'elle joue son rôle dans la vie de l'établissement. Il y a trente ans, si on convoquait le directeur, c'était pour constater que la machine à café du réfectoire ne marchait plus ! »
Le Dr Francis Peigné, président fondateur de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) partage cette vision : « Il n'y a pas si longtemps, le pouvoir à l'hôpital était aux mains des médecins, et en particulier des chefs de service. Le directeur était là pour chiffrer les coûts, pour faire quelques arbitrages. Avec le budget global, les choses ont changé. Le pouvoir du directeur, chargé de la répartition des ressources, s'est accru. »
Attachés à leurs commissions médicales d'établissement (les CME), finalement plus avides de reconnaissance que demandeurs de prérogatives de gestion - en 1991, possibilité a été donnée aux médecins de faire des stages à l'ENSP (Ecole nationale de la santé publique, qui forme les directeurs), sans aucun succès ; cinq ans plus tard, le plan Juppé a inventé les délégations de gestion... un ratage -, les médecins vont paradoxalement être contraints par Hôpital 2007 à endosser plus de responsabilités qu'ils ne le souhaitent. Et l'exercice va leur demander de la souplesse. Alain Garcia, médecin passé de l'autre côté du miroir (il dirige aujourd'hui l'agence régionale de l'hospitalisation d'Aquitaine), raconte : « Si l'on veut que les futurs pôles de responsabilité, qui ne seront pas des petites structures, soient bien administrés, il faudra que les directeurs s'imprègnent un peu de la culture médicale et que les médecins s'imprègnent de gestion. Car il est faux de dire que les médecins n'ont pas une responsabilité extrêmement importante dans la bonne et la mauvaise gestion. Les médecins doivent apprendre à passer d'une gestion individuelle à une gestion collective, à mettre en avant non pas leurs propres problèmes mais les problèmes des autres ».
Cadres et docteurs :
même combat, selon le SNCH
Volontiers traité de grand méchant loup par les médecins - notamment sur le dossier des directeurs de soins -, le Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH) montre patte blanche.
« L'incommunicabilité entre médecins et directeurs n'a pas de sens, affirme son délégué général, Emmanuel Goddat, nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés. Car les médecins ont été contaminés à leur tour par la buReaucratie et la paperasserie ». Victimes les uns comme les autres d'une « conception jacobine de l'hôpital public », croulant sous les circulaires, les décrets... « tous ces textes qui viennent d'en haut », les médecins et les directeurs « n'ont pas besoin de se battre sur des parcelles de pouvoir qui n'existent pas ». Pour mettre fin au malaise, le SNCH suggère, dans le cadre d'un hôpital plus autonome, la création d'un « conseil stratégique, qui pourrait venir appuyer les décisions de la direction à travers des avis, et que composeraiENt le président de la CME, le doyen (si on est dans un CHU) et le directeur »
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