La santé en librairie
L' artiste, connue pour ses somptueux « Carnets du Vatican » et ses « Carnets de prison », a l'art et la manière d'explorer des lieux inhabituels, mystérieux et impressionnants. C'est d'ailleurs, dit-elle, à l'hôpital de la prison de Fresnes que lui est venue l'idée de son dernier ouvrage. Son matériel est toujours le même : des yeux pour voir, un cur pour éprouver, une main gauche pour dessiner et peindre, une main droite pour prendre des notes et saisir sur le vif les dialogues et les émotions. Et du temps, beaucoup de temps pour observer.
Il lui faudra cette fois trois ans de présence au sein d'une vingtaine d'hôpitaux de l'Assistance publique, près des patients, de leurs proches, des soignants, des archivistes ou des femmes de ménage, à la morgue et à la maternité, en gériatrie comme au bloc opératoire, pour saisir la vie au quotidien.
Petite souris discrète mais laborieuse, Noëlle Herrenschmidt a ainsi réalisé des milliers de croquis sur le vif ; son trait est rapide, ses couleurs transparentes mais lumineuses ; elles débordent des contours comme l'émotion de chacune de ces scènes ordinaires, soins, gestes médicaux, impuissance ou présence silencieuse dans la détresse, corps dénudés et douloureux, effractions dans l'intimité.
Les centaines de croquis aquarellés sont toujours accompagnés de quelques mots de commentaires, de paroles entendues. Les temps changent et le monde mystérieux de l'hôpital, jadis exclusivement réservé aux professionnels et aux patients, s'ouvre peu à peu. Il n'empêche ; on imagine sans mal la ténacité qu'il a dû falloir à cette artiste déterminée pour réussir à montrer patte blanche dans ce milieu hospitalier qui ne porte pas toujours bien son nom, mais aussi la discrétion et la sensibilité dont elle a dû faire preuve pour y rester. Les éditions Gallimard, qui ont eu l'idée et le mérite de soutenir ce projet ambitieux, ont décidé de reverser 5 euros par ouvrage à la Fondation de France .
Compassion sans apitoiement
Il s'agissait pour Noëlle Herrenschmidt de montrer sans juger, de témoigner sans oublier personne, de donner la parole à chacun, de débusquer l'humain derrière la sécheresse apparente d'un geste technique et l'espoir dans les gestes les plus élémentaires. Le pari est magistralement réussi. Ces dessins commentés ont permis ce voyage dans l'intimité qui eût été impudique avec la photographie.
L'ouvrage montre à quel point l'hôpital est par excellence celui où se cherche, et parfois se trouve, le sens de l'existence. Comme le souligne le Pr Didier Sicard dans sa postface, Noëlle Herrenschmidt sait qu'elle « doit témoigner de l'impalpable, de l'indicible, de l'ineffable » pour montrer comme « la vie déborde de l'hôpital dans ce croisement de regards, de soignants, médecins, infirmiers, malades, familles qui n'en finissent pas de dire qu'il est peut-être un des derniers lieux vrais d'humanité ».
Echappant à l'apitoiement pour libérer la compassion, à l'éloge systématique comme à la critique facile, au voyeurisme comme aux clichés, Noëlle Herrenschmidt dresse un portrait vrai et juste de ce monde complexe qu'est l'hôpital, de cette somme de petits désarrois et de grandes souffrances vécus par les soignants comme par les soignés. « C'est notre histoire dessinée, dit-elle, c'est nous, c'est vous. » Chacun y reconnaîtra le petit détail qui fait froid dans le dos ou qui émeut : de la chemise d'hôpital laissant toujours malencontreusement entrevoir les fesses du pauvre malade qui se traîne dans le couloir sa perfusion à la main à la posture de l'infirmière penchée vers son malade douloureux en passant par les mimiques soucieuses des médecins en salle de staff ou les postures déchirantes des vieillards sur leur fauteuil. On s'y croirait. On entend le bruit de la cireuse sur le sol des couloirs vides et désespérants, le pas de l'infirmière, le silence pesant, ponctué de propos incohérents, du salon des résidents de la maison de gériatrie de l'hôpital Bretonneau. Mais on perçoit aussi le gazouillis des nouveau-nés heureux, la chaleur de la caresse d'un médecin ou d'un autre soignant sur une peau malade, la reconnaissance dans les yeux d'un patient soulagé comme la détresse dans ceux d'un enfant en oncologie. La vie est là. Palpitante. « L'hôpital, à la vie, à la mort. » Tous pour un et un pour tous.
« A la vie à la mort. L'hôpital », Noëlle Herrenschmidt, Gallimard, 305 pages, 55 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature