VINGT-DEUX ANS après avoir voté un rapport sur les perspectives de l'hôpital public (1), le Conseil économique et social (CES) récidive. Sous la houlette d'Eric Molinié, rapporteur au nom de la section des affaires sociales du CES, il consacre une « étude » fouillée de près de 300 pages au même sujet, constatant au passage que nombre de questions qu'il se posait au début des années 1980 sur l'avenir de l'institution (notamment sur ses capacités à accueillir les personnes âgées ou à optimiser les ressources qui lui sont allouées) restent d'actualité.
Fil rouge de cette nouvelle étude du CES, le grand écart permanent que doit exécuter l'hôpital public entre des « exigences contradictoires » : l'accueil aux urgences, dépassant « les soins purement médicaux », de personnes âgées et de populations démunies de plus en plus importantes se heurte à des soins programmés de plus en plus techniques et coûteux, le tout sur fond de contraintes financières toujours plus fortes car l'hôpital pèse lourd dans le budget d'une Sécurité sociale déficitaire (2)... « Quelle autre organisation, publique ou privée, pourrait faire face, simultanément, à autant de défis, s'interroge le CES ? Toutes choses étant égales par ailleurs, imaginons une entreprise confrontée à la fois à un changement radical de clientèle, elle-même en forte croissance, à une révolution technologique nécessitant de lourds investissements, à la nécessité d'une réduction de coûts drastique et à des changements fondamentaux dans son mode de financement : n'est-ce pas la quadrature du cercle ? » Pour le Conseil économique et social, « tous les ingrédients d'une crise des valeurs » hospitalières sont réunis, ce qui impose de trancher : « Quelles sont finalement les missions de l'hôpital public ? », « L'économique doit-il primer sur les soins ? », « Comment assurer la cohérence des réformes en cours ? », autant de questions qui exigent des « réponses claires » et rapides.
« Une flotte hétéroclite ».
Ces réponses, le CES les esquisse après avoir épluché rapports, études, annexes aux lois de financement de la Sécurité sociale (Lfss)... et auditionné nombre de responsables du monde de la santé. Le sujet des « missions » de l'hôpital public est soigneusement balisé : il s'agit pour l'institution, estime le CES, de « soigner le mieux possible tout le monde, à tout moment et au meilleur coût ». Cela n'est possible que si soin, enseignement, recherche continuent de coexister à l'hôpital et si l'institution s'appuie sur trois valeurs : « la qualité, l'équité et l'efficience » - en matière d'efficience, des marges de manœuvre existent qui permettront de dégager des gains de productivité ; elles concernent notamment l'optimisation de l'organisation ( via, par exemple, une meilleure coordination des blocs opératoires) et de la gestion des hôpitaux (en matière d'achats ou de traque des hospitalisations non justifiées), et l'amélioration des pratiques médicales et soignantes.
Des moyens sont évidemment indispensables et ils ne peuvent être intelligemment distribués que si l'hôpital cesse d'être ce qu'il est aujourd'hui : « Une flotte trop hétéroclite ». Le CES suggère donc de déterminer « trois niveaux de prise en charge » pour les établissements, « par ordre de technicité croissante, de l'hôpital de proximité au centre hospitalier, puis au CHU ». Il conseille également à l'institution de ne plus vouloir faire tout tout seul : elle doit être capable, explique-t-il, « de déléguer à d'autres des missions de service public ». Une délégation qui va de pair avec le nécessaire décloisonnement de l'hôpital qui « ne peut plus être un lieu clos, à la fois difficile d'accès pour les acteurs de la santé qui lui sont extérieurs, et dont les propres acteurs ne sont pas suffisamment tournés vers l'extérieur ». « L'hôpital public, tranche le CES, doit trouver aujourd'hui sa place dans un territoire de santé et jouer un rôle central en matière de soins préventifs, curatifs et palliatifs. »
(1) « La réforme hospitalière : bilan et perspectives », janvier 1983, CES.
(2) Le secteur hospitalier a dépensé en 2003 61,5 milliards d'euros, ce qui représentait 42,6 % de la consommation de soins et de biens médicaux.
Restructurations : des erreurs de méthode
Le CES donne, dans son étude, les chiffres impressionnants de la restructuration hospitalière. En onze ans, entre 1992 et 2003, 380 hôpitaux et cliniques, sur un total d'un peu plus de 3 000 structures, ont disparu ou se sont regroupés, rappelle-t-il, et ce sont les cliniques privées qui ont payé le plus lourd écot à cette recomposition du paysage hospitalier : « Trente pour cent (d'entre elles) , notamment des petites maternités, ont fermé leurs portes ». Sur la même période et tous secteurs confondus, 83 000 lits (sur 540 000) ont disparu. Le Conseil économique et social estime toutefois que la restructuration « reste inachevée ».
Pour lui, elle doit être poursuivie, mais en corrigeant quelques erreurs du passé. Car le CES regrette en particulier que « l'impact macro-économique et financier » des opérations menées « n'a donné lieu à aucune évaluation ». Comment, dans ces conditions, mesurer l'allégement - si allégement il y a eu - de la contrainte financière induit par ces recompositions ? Le CES constate également que la politique de restructuration hospitalière « a semblé manquer de lisibilité pour les usagers ». Il note que « la volonté plus ou moins explicite de regrouper les plateaux techniques et d'opposer trop systématiquement la sécurité et la proximité des soins a favorisé les grosses structures hospitalières aux dépens des hôpitaux de proximité, quand bien même ces hôpitaux avaient une "bonne productivité" (...) et que leur place dans l'organisation sanitaire répondait aux besoins de la population ». Le CES compte sur les prochains Sros (schémas régionaux d'organisation sanitaire), pour rectifier le tir.
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