« TRAVAILLER PLUS pour gagner plus. » La formule a-t-elle ses adeptes à l'hôpital public ? Nul besoin, pour le savoir, d'attendre qu'y soient mises en oeuvre les dernières recommandations du président de la République en matière d'aménagement de la RTT (réduction du temps de travail) – sur TF1 et France 2, Nicolas Sarkozy a proposé «la monétisation des RTT», encouragé le recours aux heures supplémentaires.
Depuis 2003, deux protocoles d'assouplissement du régime 35 heures – un pour les agents de la fonction publique hospitalière, l'autre pour les médecins – ont été signés qui ont permis, précisément, aux 800 000 personnels et 30 000 médecins concernés de dépasser les limites réglementaires de leur temps de travail contre espèces sonnantes et trébuchantes.
En vertu de ces textes, les médecins ont pu en 2004 racheter cinq jours de RTT (ce qu'ils ont largement fait) et travailler au-delà de leurs 48 heures hebdomadaires (gardes comprises) sur des plages de « travail additionnel », payées en sus (dispositif aujourd'hui très répandu). Quant aux agents, ils ont pu en 2004 « monétiser » dix jours de RTT, et le plafond de leurs heures supplémentaires, relevé une première fois en 2003, l'a été à deux autres reprises depuis. Résultat, ironise Philippe Crepel, secrétaire fédéral à la CGT Santé et Action sociale, «les 35heures à l'hôpital, elles existent sur le papier. Mais si on veut ne pas les appliquer, tous les outils existent!».
Pour suivre les recommandations de Nicolas Sarkozy, l'hôpital peut évidemment «assouplir une nouvelle fois l'assouplissement». Sauf que les mesures existantes se heurtent déjà à plusieurs écueils.
Les CET, tonneaux des Danaïdes pour les médecins.
Chez les médecins, le gros point noir, ce sont les CET, moyens pour eux bien plus que pour les personnels de « travailler plus » que leurs 48 heures réglementaires. A la fin de 2005 (1), ils y avaient déjà cumulé un million de jours, et ils ont bien sûr continué depuis à thésauriser par ce biais – un praticien hospitalier (PH) exerçant selon ses dires dans des conditions «normales» le confirme : «Chaque année, je prends mes jours de congé et j'ai toujours quinze jours de RTT à mettre de côté.» Les médecins sont-ils prêts à « revendre » des jours ainsi stockés ? Quand on les interroge, ils répondent plutôt que oui – «Ils l'ont d'ailleurs fait à 90% quand on le leur a proposé en 2004», se souvient le Dr François Aubart, président de la CMH (Coordination médicale hospitalière) –, moins peut-être par appât du gain que parce qu'ils redoutent, travaillant à flux tendu, de ne jamais pouvoir solder les jours accumulés. Ni même de pouvoir transformer leur CET en « préretraite » tant la démographie médicale sera à l'heure dite peu favorable. Mais il y a un os qui douche leur enthousiasme. On le sait depuis le printemps dernier : ces CET n'ont pas, la plupart du temps, été provisionnés par les hôpitaux. Et l'enveloppe spécifique dévolue par le ministère à leur financement n'est pas à la hauteur : il n'y a « que » 348 millions d'euros sur ce fonds pour l'emploi hospitalier (FEH).
Sur ce dossier, Nicolas Sarkozy – qui a insisté jeudi soir sur le fait que «monétiser» les CET serait une manière de réduire le «stock» de jours dans la fonction publique en général et dans les hôpitaux en particulier – prend, une fois n'est pas coutume, un peu le train en marche. Très inquiets, les médecins hospitaliers (comme les personnels) harcèlent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le ministère de la Santé sur cette question. Un syndicat s'est même créé spécialement pour défendre la cause des CET (la Fédération des syndicats de la permanence des soins hospitaliers – « le Quotidien » du 19 novembre). Roselyne Bachelot a d'ailleurs promis d'agir vite dans nos colonnes.
Racheter leurs jours de RTT signera-t-il la fin des 35 heures des médecins de l'hôpital public ? La question amuse le Dr Rachel Bocher, présidente de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers) : «Les médecins, dit-elle, n'ont jamais fait 35heures. Ils sont plus près de quarante-huit!» Ce que confirme, en observateur averti, Philippe El Saïr, président du SNCH (Syndicat national des cadres hospitaliers) : «Des médecins ont appliqué la RTT, mais beaucoup ont continué à travailler comme avant les 35heures, avec des compteurs pleins à craquer!»
Et le pouvoir d'achat, puisque c'est bien de ce sujet que parlait jeudi le chef de l'Etat ? Les praticiens ne voient pas en la matière la « monétisation » de leur CET comme une solution. Président de la CPH (Confédération des praticiens des hôpitaux), le Dr Pierre Faraggi, en particulier, a fait ses calculs : «Sur les vingt dernières années, en euros constants, nos rémunération se sont dégradées de 20%.»
Des heures supplémentairessouvent subies par les agents et parfois non payées.
Du côté des personnels, bien plus que les CET (choisis par seulement 5 % des agents qui préfèrent poser effectivement leurs jours de RTT), ce sont les heures supplémentaires qui turlupinent. Les statistiques, sur le sujet, restent extrêmement floues, mais des chiffres circulent. En moyenne, chaque agent totaliserait chaque année 40 heures supplémentaires pour un coût global estimé à plus de 1 milliard d'euros – à titre indicatif, il s'est dit récemment en conseil supérieur de la fonction publique hospitalière que 130 millions d'euros étaient provisionnés pour le paiement de ces heures supplémentaires en 2008.
Les plafonds ont eu beau être régulièrement relevés depuis 2003 (220 heures par an aujourd'hui), ils sont dépassés par de nombreux agents. En particulier dans la filière soignante où sévit depuis plusieurs années une pénurie d'effectifs. «C'est le cas, par exemple, en Ile-de-France, explique la secrétaire générale de la CGT Santé, Nadine Prigent. Des infirmières font des nuits entières en heures supplémentaires.» Parfois volontairement effectuées, les heures sup' sont aussi, souvent, subies. Parce qu'il faut bien assurer la continuité des soins. Et la pilule passe particulièrement mal quand ces heures ne sont pas payées, ce qui, les directeurs d'hôpital en conviennent, se produit régulièrement – «Quand 70% des hôpitaux sont en déficit, avec quels crédits pourraient-ils bien payer ces heures supplémentaires?», justifie l'un d'entre eux.
Sans crédits supplémentaires, on voit mal les personnels hospitaliers céder aux sirènes des heures sup'. «Les professionnels de l'hôpital ne demandent pas à en faire plus, ils n'en peuvent déjà plus, s'alarme Nadine Prigent, qui rappelle que 30% des aides-soignants et 20% des infirmières partent en invalidité avant 55ans.»
Tout en défendant une souplesse des dispositifs de CET comme d'heures supplémentaires (selon les situations personnelles, les âges… des uns et des autres), Philippe El Saïr est sur la même longueur d'onde, qui rappelle que l'hôpital est quand même «un milieu de forte pénibilité, où des mères de famille travaillent la nuit, le week-end».
Les dernières propositions de Nicolas Sarkozy signent-elles l'arrêt de mort des 35 heures des 800 000 agents de l'hôpital ? Les syndicats de personnels ne le croient pas, qui soulignent toutefois l' «injustice» avec laquelle s'applique aujourd'hui la RTT dans les établissements, certains en bénéficiant sans problème, tandis que d'autres, qui ne sont pas confrontés à la pénurie de personnels qualifiés, accumulent les contraintes. Quant à l'augmentation du pouvoir d'achat – sujet sur lequel Eric Woerth, ministre du Budget, et André Santini, secrétaire d'Etat à la Fonction publique, réunissent dès ce matin les syndicats de fonctionnaires –, elle ne sera en aucun cas résolue, affirment en choeur les fédérations santé, par les heures supplémentaires.
(1) Le rapport « Acker » sur les 35 heures à l'hôpital chiffrait à 550 millions d'euros le coût des jours épargnés sur des CET à la fin de 2005. Des experts estiment que, depuis, l'addition est autour de 200 millions d'euros plus lourde.
Les professionnels ne veulent plus de « monnaie de singe »
Au moment même où il proposait, jeudi dernier, sur TF1 et France 2, pour schématiser, d'échanger les 35 heures contre du salaire, le président admettait aussi «qu'il n'y a pas d'argent dans les caisses de l'Etat». Une situation plutôt fâcheuse dès lors que la monétisation de la RTT se joue sur le terrain de la fonction publique.
Dans ces conditions, qui va payer le solde des comptes épargne-temps vendus par les médecins ou les personnels hospitaliers, qui va financer d'éventuels nouveaux contingents d'heures supplémentaires, le tout dépassant certainement une addition vertigineuse d'un milliard d'euros ? Autant les entreprises privées vont pouvoir peut-être mettre la main à la poche, autant, à l'hôpital, l'équation caisses vides/milliard d'euros paraît bien difficile à résoudre.
Elle inquiète sérieusement Gérard Vincent, délégué général de la FHF (Fédération hospitalière de France), même s'il n'a, sur le fond, pas d'opposition aux propositions du chef de l'Etat. Plus question «de monnaie de singe», met-il en garde. Gérard Vincent rappelle que les sommes nécessaires s'ajoutent aux «300millions d'euros d'impasse budgétaire» que totalisent aujourd'hui les hôpitaux publics. Si le président de la République veut passer à l'acte, la FHF ne voit qu'une solution : «Il faut le plus vite possible un PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, NDLR] rectificatif afin de rééquilibrer le budget des hôpitaux!» Sur ce point, pour une fois, FO Santé rejoint la FHF : «Nous ne pourrions accepter un marché de dupeS où les agents devraient “se payer sur la bête” en quelque sorte», argumente le syndicat.
Pour l'heure, le ministère de la Santé ne pipe mot sur le sujet. Tout au plus apprend-on par la bande que Roselyne Bachelot compte ouvrir rapidement une « grande concertation ».
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