Dossier
De notre envoyée spéciale à Douai
Une fois n'est pas coutume, le centre hospitalier de Douai - hôpital vieillissant, sous-doté, installé dans un secteur sanitaire sous-équipé - peut faire rêver tous les directeurs d'hôpital de France et de Navarre. L'objet de cette possible convoitise ? L'accord local de réduction du temps de travail (RTT) qui a été conclu à Douai dès le 20 décembre et qui s'applique depuis le début de l'année.
Ici, les négociations puis la mise en musique des 35 heures se sont faites sans heurts. Loin des crispations qui conduisent parfois les personnels hospitaliers à séquestrer leurs directeurs, les syndicats de Douai, au mépris parfois de leurs consignes nationales, ont tous signé le document que leur soumettait la direction de l'hôpital. Ils l'ont fait sans prendre trop de risques vis-à-vis de leurs adhérents : interrogés à leur initiative par référendum, les 1 278 agents du centre hospitalier s'étaient prononcés à 90 % en faveur du plan arrêté au terme des négociations. Un plan qu'Agnès Ledrole et Micheline Nutte, cadres soignantes et représentantes de la CFTC, présentent sans hésiter comme un « bon compromis », ajoutant : « Il faut savoir être raisonnable. Nous aurions pu réclamer plus mais qu'aurait-on fait, ensuite, si on n'avait pas pu organiser le travail et si les heures supplémentaires s'étaient accumulées ? »
Résultat : l'hôpital de Douai est passé aux 35 heures à moyens quasi constants pour l'instant. Il a sauté le pas en appliquant deux modalités : les soignants travaillent désormais 37 h 30 par semaine sur des cycles variant de 4 à 8 semaines et bénéficient de 15 jours de RTT par an ; les autres ne travaillent plus que 35 heures hebdomadaires, soit en réduisant leur temps de travail quotidien, soit en prenant chaque année 20 jours de RTT.
Mis à part une certaine souplesse du dispositif, l'accord signé à Douai ne donne, souligne la responsable locale de la CFDT, Françoise Olivier, « rien de plus mais rien de moins » aux agents que ce que prévoyait le protocole national sur la RTT de la fonction publique hospitalière.
Nul ne peut accuser le directeur, Jean-Marie Pourcelot, d'avoir acheté la paix sociale dans son établissement en dérogeant d'une manière ou d'une autre au cadre fixé par l'Etat et les partenaires sociaux.
Comme l'affirme une syndicaliste, le pilote de l'hôpital de Douai n'a pas pour habitude de « faire des cadeaux » au personnel. Il y a dix ans, en prenant ses fonctions, il a donné le ton en entrant en guerre contre l'absentéisme (les cumulards d'absences même justifiées ont eu moins d'avancement que les autres ; les fidèles au poste se sont répartis une prime de service qui s'est élevée la première année à 1 700 francs par personne). « On m'a traité de fasciste, se souvient Jean-Marie Pourcelot qui a aussi fait ses comptes : de mois à mois, j'ai économisé ainsi 30 postes de plus à l'hôpital sans dépense supplémentaire ». Quand le même homme s'aventure sur le terrain des 35 heures, ce n'est pas le Père Noël qui négocie. Au grand dam des agents de l'hôpital de Douai, deux jours de vacances locales auxquels ils tenaient beaucoup - le jour du maire et le « jour de Gayant », la fête des géants de la ville - ont disparu dans la bataille de la RTT.
Si les 35 heures à la sauce douaisienne ont remporté l'adhésion des agents, ce n'est donc pas parce qu'elles paraissaient plus avantageuses qu'ailleurs.
La recette d'une négociation rondement menée est à chercher ailleurs. Dans l'anticipation de l'opération, y compris financière puisque des provisions ont été faites dès 2001 pour les 35 heures. Dans sa dédramatisation : « Il s'agit d'un chantier comme un autre », a prévenu d'emblée la direction. Dans une culture maison de la concertation - en 1994, le directeur a introduit dans ses murs le management de direction par objectifs, et il s'est bien enraciné : « Nous avons maintenant une démarche commune, des outils communs, et l'habitude du travail en transversalité », explique, enthousiaste, Gérard Desprez, cadre soignant au bloc opératoire.
Et c'est ainsi qu'au fil des mois la mayonnaise a pris, que les sources possibles de gain de temps de travail ont été découvertes. Elles ne sont pas révolutionnaires mais elles sont peu contestables. Il s'agit, d'une part, de réduire le temps de chevauchement des équipes soignantes lors des relais et, d'autre part, de renforcer des fonctions transversales (l'hôtellerie, les brancardiers, le bionettoyage) : plus question pour une aide soignante de « brancarder » un malade ou de servir un petit-déjeuner.
Un an de rodage
En rodage depuis huit semaines, le dispositif n'a pas rencontré pour l'instant d'obstacle majeur. « Il n'y a pas vraiment de problème sur l'organisation des soins », observe le président de la CME (commission médicale d'établissement), le Dr Pierre Fievet.
Reste que tout n'est pas parfait. Des questions se posent auxquelles on n'avait pas pensé (le solde des années antérieures des jours de congé se compte-t-il en journées de 8 heures ou de 7 heures, par exemple ?) et Jean-Marie Pourcelot estime qu' « il faudra au moins un an pour régler l'ensemble des problèmes ». L'échéance vaut aussi et surtout pour les moyens supplémentaires que l'hôpital attend en accompagnement de sa RTT. Sans eux, le directeur le reconnaît, la machine se grippera : « Je vais fonctionner sans accroc cette année. Mais pas l'année prochaine. »
Création de soixante postes
L'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) du Nord - Pas-de-Calais a promis une soixantaine d'emplois (15,87 en 2002, 27,30 en 2003, 17,14 en 2004). L'établissement espère en récupérer 14 de plus au titre de la petite provision de postes-RTT que chaque ARH s'est constituée. Mais même si ses vux devaient être exaucés, l'hôpital de Douai resterait sur la corde raide. Responsable locale de la CGT, très majoritaire, Annick Dujardin prévient qu'elle « continuera de se battre pour obtenir des moyens supplémentaires ». Ce sont 120 postes au lieu des 60 prévus qu'elle réclame et elle a fait adopter pour cela une délibération en conseil d'administration.
Satisfait ou pas sur ce point, l'hôpital devra aussi avaler la pilule de l'accord que vient de signer, à quelques encablures, le CHU de Lille. Un accord plus avantageux pour les personnels - ne serait-ce parce que les Lillois ont réussi à préserver leurs fêtes locales - et auquel il se murmure que Martine Aubry, maire de Lille et mère du passage de la France aux 35 heures, n'est pas étrangère.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature