SI L'HOMME a domestiqué la femme, elle le lui rend bien. C'est sur cet épilogue que se clôt « la Revanche du chromosome X », du philosophe et journaliste scientifique Olivier Postel-Vinay. Pourtant, son livre n'est pas, loin s'en faut, un catalogue des supériorités, représailles ou victoires des uns contre les autres et des unes contre les uns, mais une présentation des diverses hypothèses sur la nature du sexe et leur histoire à travers la science. Une réflexion sur ce que nous savons de la différence entre les sexes, et sur ce que nous en ignorons, du chromosome X en double à la différence de latéralisation du cerveau en passant par l'énigme de la longévité féminine et bon nombre d'autres dissemblances considérées par les uns comme relevant de la culture, par les autres comme le fait de la nature et de la génétique en particulier.
En bon journaliste, Nicolas Postel-Vinay a tout lu, ou presque, de ce qui a été dit et publié sur le sujet, rencontré des scientifiques, dialogué avec des féministes, des chercheurs en sciences sociales, analysé, disséqué les écrits des uns et des autres, louvoyant entre idéologie et stéréotypes pour tenter de se faire une idée d'une réalité pas si transparente et mouvante qu'il y paraît : la différence des sexes.
Comme dans l'alphabet, l'Y après l'X.
Une chose est sûre, dit-il, le féminin et le masculin plongent leurs racines dans les abysses de l'histoire de l'évolution et, chez les plantes comme chez les animaux, le mode sexué de la reproduction n'admet que deux sexes. Dans l'histoire du vivant, à un moment, deux protistes monocellulaires ont acquis une taille et une forme différentes, d'abord seulement au moment de s'accoupler puis de manière plus permanente. Cette rencontre ne date pas exactement d'hier puisque, déjà, chez les premières algues vertes monocellulaires, « quelque chose de féminin » se frottait à « quelque chose de masculin », moyennant pénétration, avec ce que Olivier Postel-Vinay nomme avec humour « un poil sexuel », pour engendrer une autre algue verte ! Cette asymétrie traverse désormais tout le monde sexué. Contrairement au mythe d'Eve née de la côte d'Adam, c'est le féminin qui est le sexe de base et le masculin qui dérive du féminin ; le chromosome Y est d'ailleurs un lointain produit du chromosome X, lequel n'est pas seulement le chromosome féminin par excellence, puisqu'il contrôle bon nombre de fonctions masculines. Le mâle est en difficulté, dit-on, pas seulement parce qu'il est dominé ou effrayé par le féminisme, mais aussi parce ses spermatozoïdes sont fragilisés alors que l'ovule, lui, semble demeurer à l'abri des intempéries socioculturelles et biologiques. La femme qui cache le moment de son ovulation encore mieux que ne le fait la femelle bonobo est-elle en passe de domestiquer le mâle dont le chromosome Y semble donner des signes de faiblesse ? L'auteur expose les termes de cette question et présente les outils pour en débattre, exemples et démonstrations scientifiques à l'appui, avec un magistral talent de vulgarisateur. L'évolution culturelle bouscule indéniablement l'évolution naturelle, affirme-t-il, mais ne nous fera peut-être pas sortir de la nature pour autant. Une redistribution des cartes du féminin et du masculin est en train de s'opérer qui est peut-être une domestication réciproque salutaire pour tout le monde.
Sociologie de l'expérience.
Pour l'heure, quelle que soit l'issue de cette révolution des relations entre les modes féminin et masculin, l'accouchement demeure inéluctable et concerne principalement la femme ! Ses modalités changent, elles aussi, bouleversées par l'évolution technico-médicale. La clinique ou l'hôpital ont remplacé la maison, l'obstétricien souvent la sage-femme, le monitoring et la péridurale les encouragements de l'entourage. Avec pour résultat une diminution drastique de la morbidité comme de la mortalité infantile et maternelle, mais aussi une transformation de l'expérience de la naissance. Sociologue, Béatrice Jacques a réalisé une enquête auprès de femmes et de professionnels de l'obstétrique pour voir comment ces différents protagonistes vivaient ces accouchements contemporains. Avec deux enfants par femme, la France est aujourd'hui le pays le plus fécond d'Europe. Expérience valorisante et valorisée quand elle n'est pas un phénomène de mode, la grossesse se construit plus que jamais autour du désir d'enfant et de plénitude. Estimant que la littérature sur la naissance proposait davantage d'approches limitées et militantes du phénomène que d'analyses rationnelles, Béatrice Jacques a voulu questionner directement les femmes concernées pour mieux saisir la complexité de la réalité pour les parturientes et comprendre comment, dans la rencontre avec les professionnels, se construisait une nouvelle définition sociale de l'enfantement.
La maîtrise des femmes.
Elle a donc interrogé et observé des femmes enceintes dans des cliniques, des structures hospitalières, en salle de travail ou de préparation à l'accouchement, avant et après des consultations. Son travail confirme que l'idée de risque et la nécessité de la médicalisation sont très présentes chez les femmes, ce qui n'a rien de surprenant, et que cet état d'esprit a une influence directe sur les représentations de la grossesse. Mais il souligne aussi que si ce paradigme biomédical domine bien la prise en charge, les schémas imposés par la psychologie politiquement correcte (bonne mère, bon père) sont au moins aussi envahissants et dictatoriaux. Néanmoins, les femmes, qui ne sont pas si dépossédées qu'il y paraît dans cette expérience, retournent à leur profit cette médicalisation en étant finalement elles-mêmes très demandeuses de technique, capables de critiquer parfois le système et en parvenant, malgré un « encadrement » parfois contraignant ,à vivre leur maternité de façon intime et personnelle. Les pères, eux, semblent, d'après les expériences relatées par Béatrice Jacques, moins à l'aise dans le rôle qu'exige d'eux la société pendant la grossesse et au moment de l'accouchement.
« La Revanche du chromosome X », Olivier Postel-Vinay, JC Lattès,440 pages, 20 euros.
« Sociologie de l'accouchement », Béatrice Jacques, PUF, collection « Partage du savoir », 208 pages, 25 euros.
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