On retrouve des traces de l'utilisation du lait et de ses dérivés un peu partout dans le monde, plusieurs millénaires avant Jésus-Christ. Une fresque sumérienne polychrome (2 500 av. J.-C.) représente la traite de vaches suitées (proches de l'auroch), dont le lait est entreposé dans de grandes jarres. A la même époque, un cachet du royaume d'Elam montre une chèvre offrant son lait à un berger sous le regard bienveillant de la déesse de la Fécondité. Autre témoignage de l'existence des laitages, au XVIIe siècle avant notre ère, le code des lois du roi amorite, Hammourabi II, réglemente les taxes frappant les produits laitiers proposés au marché de Babylone.
Le caillé de chèvre et de brebis
Pendant longtemps, chèvres et brebis, qui s'adaptaient facilement à tous les climats et qui pouvaient se contenter de brouter quelques herbes folles, ont fourni la majeure partie du lait consommé frais et des produits qui en étaient dérivés. Les premiers fromages étaient donc ceux de chèvre ou de brebis.
Avant que l'on dispose des jarres, les bergers se servaient des vessies ou des panses de jeunes ruminants comme outres pour entreposer le lait de leurs bêtes. Il est facile d'imaginer que le lait y caillait rapidement du fait de la chaleur et surtout de la présence d'enzymes digestives. On prépare toujours ainsi le « tauhem » en Anatolie ou le « leskem » de brebis dans le Caucase.
D'autres façons de cailler le lait sont ensuite apparues. En effet, les prescriptions de Moïse ont interdit aux Juifs de mélanger le lait à tout produit de jeune animal : « Tu ne feras pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère. » Les dix fromages que David se proposait d'offrir à Goliath étaient élaborés grâce aux propriétés coagulantes de végétaux comme le suc de figuier ou les bourgeons de chardon, pratiques encore en usage aux Baléares ou en Corse.
Marco Polo raconte que les Mongols faisaient sécher le lait écrémé, cru ou cuit, au soleil pour obtenir leur fromage ; comme encore aujourd'hui les Bédouins du Sinaï.
Depuis l'Antiquité, on déposait le caillé dans des corbeilles finement tressées pour qu'il s'égoutte. Dans la Gaulle du IIe siècle, on a eu l'idée d'un pressoir à vis pour mieux tasser le caillé ainsi égoutté (à la place des pierres habituellement posées sur le couvercle). On moulait ensuite le produit dans un panier ou une boîte en bois ( « phormos » en grec et « forma » en latin) pour obtenir ce que nous appelons actuellement le fromage, « formage » au Moyen Age.
Le développement de nombreuses variétés
Ainsi, notre fromage blanc est le caillé égoutté, que l'on nomme aussi « brousse », « broccio », « tomme fraîche » ou « cottage cheese ». Il faut encore les opérations de salage, de séchage, de fumage ou d'affinage en cave pour donner naissance au fromage à proprement parler.
On trouvait à Rome une grande variété de fromages, certains condimentés de thym, de poivre, de pignons mis dans le vase à traire. Les fromages les plus estimés étaient le Vestus (fromage local), le Vélabre (légèrement fumé), le fromage de Trebula, ceux de Rhétie. Virgile a consacré des vers au « moretum », plat de fromage salé, pilé au mortier avec ail, persil, rue, coriandre, et arrosé d'huile et de vinaigre.
Après la chute de l'Empire romain et les Grandes Invasions des barbares, les moines bénédictins et cisterciens devinrent les artisans fromagers du haut Moyen Age. Et comme cela a également été le cas pour les liqueurs, le nom des abbayes a donné leurs toponymes aux fromages, qu'ils garderont même lorsqu'ils seront fabriqués ailleurs. Tel est le cas du port-salut et du maroilles qui viennent des abbayes éponymes. Encore aujourd'hui, la référence aux religieux sur les boîtes de fromage est fréquente.
En revanche, les fromages de grand gabarit à débiter à la coupe nécessitaient une telle quantité de lait (jusqu'à 1 000 litres pour une roue) qu'ils ont été, depuis leur origine au XIIe siècle, fabriqués en coopératives villageoises ou régionales. Naturellement, ils portent des noms de lieux : Emmenthal, Comté, Gruyère ou Beaufort pour le Jura ; Parmesan pour l'Italie...
Quant au reblochon, il doit son nom à son mode de fabrication ; il est fait à partir d'une deuxième traite (non déclarée qui échappe aux redevances) appelée « rebloche ».
Les fromages les plus prisés
Au Moyen Age, les fromages les plus prisés étaient ceux de Chaillot, de Champagne et de Brie ; étaient également renommés les fromages de Chauny (Picardie), de Bréhémont (Touraine), de la Grande-Chartreuse, de l'Epine et de Rosanois (Bourgogne). Le parmesan fit son apparition après l'expédition d'Italie de Charles VIII.
A la Renaissance, le lait et le fromage se vendaient dans la rue. On criait les fromages : fromage frais (caillebottes et jonchées vendues dans des paniers de jonc), fromages de Brie et d'Auvergne considérés comme les meilleurs. A ceux connus depuis le Moyen Age se sont ajoutés les fromages de Craponne (Auvergne), de Béthune (Flandre), les Angelots (Normandie) et les fromages à la crème de Vincennes et de Montreuil.
Certains auteurs citent déjà le pont-l'évêque, le gournay, le sassenage. Et l'on importe, avec le parmesan italien, un fromage de Florence, le marsolin, moulé en forme de concombre, ainsi que du gruyère suisse et du hollande.
Ultérieurement, l'abbé de Maroilles donne lui aussi une liste des fromages les plus estimés. Naturellement, il place le maroilles en bonne place. Selon lui, les fromages médiocres sont ceux d'Anjou, du Poitou et du Limousin. Les meilleurs sont ceux à la crème de Blois, Vanves (où une petite communauté de ce faubourg fait un beurre dit « de l'Enfant-Jésus », très recherché), Clamart, Montreuil, Grosbois. Il cite aussi les Angelots, les Coeurs (de Gournay et du pays de Bray), les fromages d'Auvergne et du Cantal, de la Brie, de Linas (Linas-Montlhéry), de Roquefort, de Beauvais, de Boisgency (Beaugency), de Livarot, de Pont-l'Evêque et de Maroilles. Pour les étrangers, les plus cotés sont ceux de Suisse et de Hollande, ainsi que le parmesan.
L'évolution de la consommation
Jusqu'au XVIIIe siècle, on a consommé beaucoup de fromage, notamment en France. Puis les gens distingués ont commencé à faire la fine bouche, préférant les sucreries. Seul le fromage blanc archisucré et parfumé d'eaux de senteur était admis. Heureusement, la disgrâce n'a pas duré longtemps. Les bourgeois du XIXe siècle ont remis le fromage à l'honneur. La demande de plus en plus forte a abouti à la création de la première laiterie industrielle de Normandie en 1875. Depuis longtemps (et encore actuellement), la France était le plus gros producteur mondial de fromages, avec plus d'un million de tonnes par an et plusieurs centaines de sortes différentes. Les autres grands producteurs sont les Etats-Unis, qui ont récupéré des émigrants les secrets de fabrication de tous les pays et continents. Ainsi, le maintien d'une longue tradition fromagère associée au développement du commerce et des échanges mondiaux permettent une infinie variété sur nos plateaux de fromage.
Maguelonne Toussaint-Samat, « Histoire naturelle et morale de la nourriture », éditions Larousse.
« Larousse les fromages ».
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