PRATIQUE
Un homme de 35 ans, sans antécédent ni facteur de risque particulier, n'ayant jamais voyagé outre-mer, se présente aux urgences le 30 décembre pour prise en charge d'un tableau algique. L'histoire débute six jours plus tôt par une fièvre d'installation rapide, oscillante entre 38°5 et 39°6, accompagnée de sueurs, de céphalées diffuses sans signes d'irritation méningée, et d'une asthénie intense. Au 3e jour, alors que ce tableau s'améliore sous traitement symptomatique (aspirine et paracétamol), apparaissent des myalgies intenses et invalidantes des cuisses et des avant-bras en dehors de tout contexte traumatique ou physique sportif : il est courbaturé, comme roué de coups.
La biologie révèle à ce moment une rhabdomyolyse importante : les créatinines phosphokinases (CPK) sont vingt-trois fois supérieures à la normale (4 528 UI/l, N < 195). L'interrogatoire précise l'absence de bain en eau douce, de consommation de viande de cheval ou de porc cru, de morsure de tique et d'érythème migrant, de douleur thoracique ou de trouble digestif. A l'admission, le malade est apyrétique, l'examen ne note qu'une sensibilité à la palpation des masses musculaires (cuisses et avant-bras). Les aires ganglionnaires sont libres, il n'existe pas d'hépatosplénomégalie, d'exanthème ni d'énanthème, l'auscultation cardiaque et pleuro-pulmonaire est sans anomalie. Il n'existe pas de syndrome méningé, les céphalées ont d'ailleurs disparu. L'électrocardiogramme et la radiographie thoracique sont sans particularité. Les examens biologiques d'entrée confirment la myolyse en voie de régression (CPK = 1 764 UI/l) accompagnée d'une élévation modérée des transaminases et des LDH (2 N), sans trouble ionique. L'hémogramme montre une leuconeutropénie (leucocytes = 5 200/mm3, 73 % de neutrophiles), une lymphopénie (770/mm3), et une numération plaquettaire à 188 000/mm3. La C réactive protéine est à 10 mg/l. La fonction rénale est conservée sans anomalie du sédiment urinaire. Après quinze jours de repos forcé sans traitement, le patient ne ressent qu'une myalgie résiduelle des membres supérieurs, provoquée par les travaux de bricolage, le taux de CPK étant revenu à la normale. Un mois plus tard, il est totalement guéri.
Le tableau clinico-biologique associant des myalgies fébriles à une élévation des enzymes musculaires évoque une rhabdomyolyse post-infectieuse dont les principales étiologies sont reprises dans l'encadré. L'anamnèse, l'absence d'hyperleucytose et d'éosinophilie, des hémocultures stériles et des sérologies bactériennes et parasitaires négatives permettent d'écarter ces causes. Un début brutal et une discrète leuconeutropénie incitent plutôt à rechercher une étiologie virale. C'est ainsi que des sérologies, réalisées dès la fin de la première semaine selon une technique fixant le complément, ont d'emblée montré une ascension significative des anticorps anticoxsackie B au 1/256.
Les virus coxsackie A et B appartiennent au genre Entérovirus. Ils sont responsables d'un grand nombre d'affections cliniques dont les manifestations réalisent des tableaux cliniques assez différents les uns des autres : cutanés ou cutanéo-muqueux (pharyngite vésiculeuse, syndrome main-pied-bouche, conjonctivite aiguë hémorragique), neurologique (méningite lymphocytaire), respiratoire, musculaire. Ce dernier tableau a été particulièrement rapporté par Finsen (1930) au cours d'un séjour sur l'île danoise de Bornholm, en mer Baltique, où sévissait cette maladie. Associant une fièvre d'apparition brutale avec des signes généraux, céphalées et douleurs musculaires (tronc + racines des membres), l'évolution de cette affection est bénigne, spontanément résolutive en quelques jours. Des complications peuvent s'observer (orchite...) mais disparaissent rapidement sans séquelles. Les virus du groupe B sont à l'origine de ce tableau, connu sous le nom de pleurodynie ou maladie de Bornholm. Ces infections sévissent sous forme épidémique (mai à octobre) avec des cas sporadiques inter-épidémiques. La preuve de leur responsabilité n'est pas toujours facile à établir : la recherche directe du virus par culture cellulaire ou détection du génome n'est pas de pratique courante. La recherche des anticorps par technique immunoenzymatique ou réaction de fixation du complément sont d'utilisation plus aisée mais sont mal standardisées, exposant fréquemment à des réactions croisées à l'intérieur d'un groupe de virus. Chez notre patient, la sérologie des coxsackies B croisant pour la même dilution avec celle des echovirus, seule la réalisation d'une réaction de séroneutralisation du pouvoir infectieux viral permettrait de préciser le type de virus en cause. On peut toutefois s'aider simplement d'une nouvelle sérologie (quatre à six mois plus tard) avec la même technique que celle ayant servi au diagnostic initial(réaction de fixation du complément) et observer la baisse plus rapide du taux d'anticorps du virus le moins spécifique.
Principales étiologies des rhabdomyolyses infectieuses
Virus :
- influenzae A et B ++
- VIH ++
- autres : coxsackie, échovirus, adénovirus, parainfluenzae, virus respiratoire syncytial, Epstein Barr, cytomégalovirus, herpès, zona-varicelle.
Bactéries :
- légionnelle ++
- streptocoque (streptocoque groupe B, pneumocoque) ++
- autres : Salmonella, mycoplasme, Chlamydiae, staphylocoque, colibacille, Francisella tularensis, Listeria monocytogenes, Clostridium perfringens, shigelle, Borrelia burgdorferi...
- leptospire.
Parasites :
trichine, toxoplasme, plasmodium.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature