«GOUVERNER, c'est prévoir.» Pourtant, le système de santé a longtemps été piloté au jugé, faute de données précises sur la consommation globale de soins en France. Néanmoins, les temps changent, grâce à la création de l'Institut des données de santé (IDS).
Celle-ci était prévue par la loi de 2004 sur la réforme de l'assurance-maladie, mais il a fallu attendre presque trois ans avant que le groupement d'intérêt public (GIP) IDS ne voie enfin le jour (voir encadré). Depuis, le GIP-IDS met en place progressivement le grand partage des données de santé anonymisées entre les différents acteurs du secteur, à l'exception notable des entreprises ou d'organismes à but lucratif comme les laboratoires pharmaceutiques ou les assureurs.
D'où un éclairage nouveau en perspective aboutissant, à terme, à un pilotage plus fin du système de soins.
Une trentaine de personnes seront formées cette année afin que des membres de l'IDS puissent techniquement interroger la plus grosse base de données de santé du monde : le Système national d'information interrégime de l'assurance-maladie ou SNIIRAM.
Tandis que d'autres pays se contentent de travailler sur des échantillons de population, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) entrepose dans son centre informatique d'Evreux toutes les données de remboursement de 65 millions de personnes (soit tous les assurés et leurs ayants droit, quel que soit leur régime d'affiliation, hors aide médicale d'État). Prévu par le législateur dès 1998 et mis en oeuvre à compter de 2003, le SNIIRAM constitue maintenant une énorme mine d'informations médicalisées pour tout chercheur ou tout organisme s'intéressant à la consommation de soins. Tout d'abord, les données individuelles de remboursement (1) y sont répertoriées depuis 2006 avec des données hospitalières du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information), si bien que le SNIIRAM permet de retracer les trajectoires de soins des patients en médecine de ville et à l'hôpital, dans le secteur public ou privé. Les données de cette base gigantesque ont été aussi enrichies ces dernières années sur le plan médical grâce au codage (ALD, médicaments, biologie, actes techniques…). Les données exhaustives du SNIIRAM peuvent être conservées pendant une durée de deux ans au-delà de l'année en cours. Pour l'étude de pathologies sur une plus longue période, l'assurance-maladie s'est dotée en 2005 d'un échantillon représentatif au 100e, baptisé Échantillon permanent interrégime de bénéficiaires de l'assurance-maladie (ÉPIBAM). L'ÉPIBAM stocke les données relatives à une population de 600 000 personnes pendant vingt ans pour suivre au fil du temps leur consommation médicale.
Depuis le 1er février 2008, tous les membres du GIP-IDS ont théoriquement accès au SNIIRAM sur demande. Dans la pratique, «ce sont essentiellement les fédérations hospitalières qui ont effectué en février-mars les premiers tirages» de données du SNIIRAM, précise Christian Babusiaux, président du GIP-IDS. Ces mêmes fédérations hospitalières publiques et privées se sont mises d'accord pour mettre à disposition leurs données respectives. Yves Gaubert, en charge des finances de la Fédération hospitalière de France (FHF), souhaite que cette transparence en matière de tarifs de séjours, d'honoraires médicaux et de dépassements viendra à bout du «fantasme de la convergence tarifaire» desparlementaires . L'hôpital public se voit souvent reprocher de coûter plus cher que les cliniques privées parce que «des informations souvent erronées circulent au moment du débat parlementaire» sur le budget de la Sécurité sociale, argue ce responsable de la FHF.
Au Collectif interassociatif sur la santé (CISS, regroupant les associations de patients et d'usagers), Danièle Desclerc-Dulac attend du partage des données «de la visibilité pour pouvoir engager une action sur telle ou telle thématique». À partir de ces données «totalement anonymisées, heureusement», le CISS «aimerait pouvoir travailler sur les restes à charge des patients», après remboursement des caisses et des complémentaires.
Accès élargi.
Le grand partage des données de santé, sous l'impulsion du GIP-IDS, s'apprête à franchir une nouvelle étape avant l'été. Un arrêté ministériel (suspendu au feu vert de la CNIL) va autoriser aussi les membres des membres du GIP-IDS à accéder à ces précieuses statistiques. En clair, le cercle des initiés va s'ouvrir aux syndicats de praticiens libéraux fédérés par l'Union nationale des professions de santé (UNPS), aux associations de patients et d'usagers membres du CISS, et aux composantes de l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance-maladie (UNOCAM), c'est-à-dire la Mutualité française, la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). «On leur ouvre les données de santé agrégées de l'assurance-maladie et les données individuelles anonymisées des professionnels de santé, ce qui n'était pas prévu au départ», explique Yvon Merlière, directeur adjoint à la direction de la stratégie, des études et de la statistique à la CNAM. Autre nouveauté : la Sécu va commencer à facturer «le temps machine» qu'elle consacre aux requêtes extérieures alors que ce service était gratuit jusqu'à présent.
L'amertume des complémentaires.
Le partage élargi des données qui se dessine semble diversement apprécié. En tant que leader du syndicat CSMF et président de l'UNPS, Michel Chassang espère obtenir des études statistiques utilisables comme «arguments de défense face au Conseil de la concurrence» (2) ou comme éléments de négociation face aux caisses. Il trouve «légitime» que les professionnels de santé aient largement accès aux données qu'ils produisent collectivement. Mais, nuance le Dr Chassang, «nous ne sommes pas d'accord pour un large accès des organismes complémentaires».
Pour le directeur général de la Mutualité française, au contraire, le partage envisagé laisse un goût de trop peu. Daniel Lenoir juge «vexatoire» le fait d'interdire la consultation de l'ÉPIBAM aux familles de complémentaires. «Nous devons demain négocier le secteur optionnel, explique Daniel Lenoir. Mais on ne peut pas négocier dans un souterrain et prendre des engagements sur des dépenses que l'on ne connaît pas.»
En fait, le grand partage des statistiques sera total lorsque le SNIIRAM ne sera plus la seule ressource exploitable. L'IDS travaille avec l'IRDÉS (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) à la constitution d'un nouvel échantillon représentatif de la population qui permettrait de croiser enfin les données de l'assurance-maladie avec celles des complémentaires (toujours de manière anonyme). L'IDS a en ligne de mire l'étude des dépassements d'honoraires et celle de la prise en charge de la dépendance. Des thèmes très politiques au moment où le gouvernement veut à la fois créer un cinquième risque « dépendance » et faire bouger les lignes du financement de la santé entre les régimes obligatoires et les régimes complémentaires.
Il reste que la mise en place du nouvel échantillon statistique commun à la Sécu et aux complémentaires représente «une opération lourde, expérimentée en 2010», selon Chantal Cases, directrice de l'IRDÉS. Par conséquent, les données recherchées éclaireront a priori le suivi des réformes annoncées et non leur élaboration…
(1) Chaque patient porte un numéro d'anonymat sans que l'on puisse remonter jusqu'à son numéro de Sécu et son identification.
(2) Celui-ci a sanctionné la CSMF pour entente illicite sur la hausse du prix des consultations de 2001 à 2005.
Les missions de l'IDS
En créant l'Institut de données de santé (IDS), la loi du 13 août 2004 est venue concrétiser un souhait de la Mutualité française (formulé lors de son congrès de Toulouse de juin 2003). Installé assez tardivement, le 30 mars 2007, le groupement d'intérêt public (GIP) IDS est présidé par Christian Babusiaux (président de la première chambre de la Cour des comptes) et dirigé par Richard Decottignies (ex-directeur adjoint du GIP Carte de professionnel de santé ou CPS).
Siègent au GIP-IDS : l'État, tous les régimes d'assurance-maladie, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), l'Union nationale des professions de santé (UNPS), l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance-maladie (UNOCAM), le Collectif interassociatif sur la santé (CISS, représentant les associations de patients et d'usagers), ainsi que les fédérations hospitalières publiques et privées. La Haute Autorité de santé (HAS) et les unions régionales de médecins libéraux (URML) sont membres associés.
Le GIP-IDS a pour mission de favoriser l'échange et le partage des données issues des systèmes d'information entre les principaux acteurs du secteur sanitaire, en vue d'une meilleure connaissance du système de soins. L'IDS a entrepris aussi d'obtenir des statistiques plus fiables et régulières auprès de l'assurance-maladie.
Le GIP-IDS vient d'installer un comité de douze experts présidé par le Pr Didier Sicard (« le Quotidien » du 16 avril). Ce comité donnera son avis notamment sur les questions éthiques liées au partage de données et sur les méthodologies employées.
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