QUOI DE PLUS RARE parmi les possibilités de concerts qu'un récital de piano réussi de bout en bout ?
Maintenir la tension, capter dès les premières notes la concentration d'un public et la garder deux heures durant pour une performance où il n'y a rien d'autre à faire que de voir un humain s'agiter à l'extrémité d'un grand meuble noir, que de se laisser embarquer par la seule fascination pour un interprète, est probablement l'exercice le plus difficile pour un mélomane. L'exploit arrive parfois cependant et c'est ainsi que l'on reconnaît les plus grands. Le Russe Grigory Sokolov est de ceux-là.
En novembre 2002, il donnait au Théâtre des Champs-Elysées, dans la série des Concerts du dimanche matin, un récital de ceux dont on se dit en sortant que l'on en a entendu de cette qualité au maximum cinq dans sa vie. Au point que l'on peut croire, l'euphorie passée, avoir rêvé. Plus d'un an après, paraît le DVD enregistré en direct le soir du concert, dans des conditions draconiennes dictées par Sokolov à son réalisateur Bruno Monsaingeon pour ne pas être perturbé le moins du monde et on se retrouve en le visionnant aussi pantelant qu'au sortir du Théâtre des Champs-Elysées.
Sokolov, d'entrée, frappe fort avec trois sonates de Beethoven nos 9, 10 et 15, enchaînées sans laisser au public sa part d'applaudissements. La sublime « Pastorale » prise à un tempo assez lent, mais avec une pâte sonore marmoréenne, une concentration, une construction sans effets qui rappelle les plus grands moments d'Emil Guilels. Les « Six Danses pour piano » du compositeur arménien Sogomon Komitas pourraient sombrer dans l'ennui après cet enchaînement si elles n'étaient défendues avec autant de ferveur. Suit une « Septième Sonate » de Prokofiev désincarnée, noire, moins féline peut-être que ce qu'en faisait Sviatoslav Richter, mais magnifique, dense, profonde, tellurique. Comme bis, quelques fantomatiques « Mazurkas de Chopin et des pièces classiques de Bach et Couperin pas toujours convaincantes de style mais avec quel luxe de sonorités !
Rarement un enregistrement de récital de piano a été aussi réussi, donnant au spectateur l'impression d'être assis dans la salle (1).
Si l'on en juge aussi par les quelques enregistrements sur CD parus chez Opus 111 (2), un coffret consacré aux compositeurs Beethoven (sublimes « Variations Diabelli »), Chopin, Schubert, Prokofiev, Scriabine et Rachmaninov et un magistral album entièrement consacré à Brahms (« Ballades » et Sonate op. 5) on se dit qu'après les deux grands pianistes soviétiques disparus cités en référence qui ont tant marqué la vie musicale de la seconde partie du vingtième siècle, Grigory Sokolov se pose en héritier de cette légendaire Ecole de piano soviétique.
(1) 1 DVD Naïve. Enregistrement public 2002. Durée : 123 min.
(2) 1 coffret de 5 CD et un album de 1 CD. Opus 111 (distribution Naïve). DDD.
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