Par le Dr KATAYOUN VAHEDI*
L'INFARCTUS SYLVIEN malin est une des formes d'accident vasculaire cérébral (AVC) les plus graves. L'adjectif « malin », qui n'est pas habituellement utilisé en pathologie vasculaire, qualifie à lui seul toute la gravité de cette variété d'AVC. Il est dû à une occlusion de l'artère carotide interne ou de sa branche principale, l'artère sylvienne, qui assure la vascularisation d'environ deux tiers de chaque hémisphère cérébral.
L'infarctus sylvien malin se complique dans les 12 à 72 heures qui suivent sa constitution d'un oedème ischémique qui provoque une hypertension intracrânienne et une souffrance cérébrale majeure, aboutissant chez environ 80 % des patients à la mort encéphalique par compression du tronc cérébral. L'infarctus sylvien malin touche plus particulièrement le sujet jeune et ses étiologies sont variées, les cardiopathies emboligènes et la dissection arrivant en tête. Aucun traitement antioedémateux n'est efficace pour réduire l'oedème ischémique. L'intérêt de la chirurgie décompressive, suggéré par des études prospectives (1), vient d'être démontré par une métaanalyse de trois essais randomisés européens conduits en France (Decimal), en Allemagne (Destiny) et aux Pays-Bas (Hamlet) (2).
L'ensemble de cette analyse prospective a inclus les données individuelles de 93 patients, 42 randomisés dans le bras médical et 51 dans le bras chirurgical. La chirurgie décompressive consiste en une hémicraniectomie avec la réalisation d'un large volet osseux (incluant frontal, temporal, pariétal et occipital) en regard de la zone d'infarctus. Le volet crânien est complété d'une ouverture de la dure-mère sans aucune exérèse de tissu cérébral. Une cranioplastie de reconstruction est réalisée à distance de l'infarctus cérébral (voir figure ci-dessus).
Cette métaanalyse montre que l'hémicraniectomie décompressive précoce (réalisée dans les 48 heures suivant un infarctus sylvien malin) a permis une augmentation de 22 % du nombre de survivants avec un handicap résiduel mineur ou modéré et de 29 % du nombre de survivants avec un handicap modérément sévère un an après l'infarctus cérébral.
Des indications au cas par cas.
Au total, l'hémicraniectomie décompressive a diminué de plus de 50 % la mortalité après un infarctus sylvien malin (la mortalité a été de 71 % dans le groupe médical, contre 22 % dans le groupe chirurgical). Une des questions principales de ces essais randomisés était de déterminer si l'hémicraniectomie avait pour conséquence une augmentation du nombre de survivants avec un handicap sévère. Cette métaanalyse démontre que le nombre de patients grabataires et totalement dépendants reste faible que ce soit avec ou sans traitement chirurgical (environ 5 % dans chaque groupe).
Bien qu'extrêmement significatifs, ces résultats doivent néanmoins être mis en pratique au cas par cas. Tout d'abord, seulement les sujets de moins de 60 ans (55 ans pour l'étude DECIMAL), sans pathologie sévère associée et sans handicap préexistant ont été inclus. L'environnement social et affectif, le souhait éventuel du patient (bien que la soudaineté de l'infarctus sylvien malin et sa gravité d'emblée ne lui permettent presque jamais de s'exprimer au moment de la décision de l'hémicraniectomie), mais aussi celui de son entourage sont des éléments extrêmement importants à considérer dans la décision thérapeutique, car la récupération sans handicap n'est pas envisageable, compte tenu de la taille de l'infarctus.
Qu'en est-il de la qualité de vie des patients survivants, surtout ceux qui gardent un handicap modérément sévère ne permettant pas une autonomie à la marche ? En raison de la différence entre échelles de qualité de vie utilisées dans chacune des trois études, leur métaanalyse n'a pu être faite. Néanmoins, un suivi au long court des patients à l'aide d'un protocole commun devrait permettre une meilleure évaluation du devenir des patients après hémicraniectomie. La perception de la qualité de vie varie cependant d'un individu à l'autre et son évaluation dans une situation d'une extrême gravité initiale restera subjective dans tous les cas.
Dans l'étude DECIMAL, tous les patients survivants du groupe chirurgical ayant pu répondre, un an après leur infarctus, à un questionnaire d'évaluation de la qualité de vie (10 sur 15 patients) ont tous déclaré qu'ils avaient le sentiment «que la vie valait la peine d'être vécue» (3).
Les signes cliniques d'un infarctus sylvien malin sont la présence d'une hémiplégie sévère, des troubles de la vigilance précoces, une déviation opposée et de la tête et des yeux, et selon le côté de l'infarctus une aphasie globale ou une héminégligence. La mesure du volume de l'infarctus en IRM de diffusion a alors une valeur prédictive de l'évolution vers l'oedème ischémique malin (3, 4).
L'hémicraniectomie décompressive doit être réalisée tôt, avant l'apparition de signes radiologiques ou neurologiques d'engagement temporal. A ce stade précoce, il est possible que l'hémicraniectomie permette de plus la préservation de zones de pénombre ischémique autour de l'infarctus et d'éviter la compression prolongée du mésencéphale.
La participation en urgence des équipes de neuroradiologie, de neurochirurgie, d'anesthésie et de réanimation est d'une importance cruciale pour que l'hémicraniectomie décompressive, puisse être réalisée dans les meilleures conditions après un infarctus sylvien malin. Par la suite, le suivi prolongé des patients et de leur entourage s'impose par des équipes de rééducation et de réadaptation fonctionnelle comme pour tout AVC sévère.
* Service de neurologie et soins intensifs neuro-vasculaires, hôpital Lariboisière, Paris.
(1) Schwab S, et al. Early hemicraniectomy in patients with complete middle cerebral artery infarction. Stroke 1998;29:1888-93.
(2) Vahedi K, et al. Early decompressive surgery in malignant infarction of the middle cerebral artery: a pooled analysis of three randomised controlled trials. Lancet Neurol 2007;6(3):215-22.
(3) Vahedi K, et al. A sequential design, multicenter, randomized, controlled trial of early decompressive craniectomy in malignant middle cerebral artery infarction (DECIMAL trial). Stroke 2007 in press.
(4) Oppenheim C, et al. Prediction of malignant middle cerebral artery infarction by diffusion-weighted imaging. Stroke 2000;31(9):2175-81.
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