COMMANDEE dans le cadre du plan Santé mentale mis en place par le ministère de la Santé en 2001, et publiée opportunément en pleine polémique autour de l'amendement Accoyer, une expertise collective de l'Inserm a analysé près d'un millier de publications de la littérature internationale évaluant différentes psychothérapies appliquées aux soins des troubles mentaux (voir encadré). En dehors du principe même de l'évaluation des psychothérapies, qui ne semble pas du goût de tous, la méthodologie elle-même a été très critiquée. Certains médias avaient déjà relayé l'exaspération des professionnels, des attaques « fermement condamnées » par William Dab au nom de la direction générale de la Santé. Les experts de l'Inserm ont donc pris les devants lors de la publication du rapport en pointant eux-mêmes leurs lacunes méthodologiques : « Comment définir une population homogène susceptible de bénéficier d'une psychothérapie ? Comment quantifier les résultats d'une psychothérapie ? L'étude statistique est-elle applicable à des méthodes qui visent spécifiquement la singularité du sujet ? », se sont-ils demandés. Se fondant sur la persistance ou non des symptômes comme instrument de mesure, les experts ont dû admettre qu'un biais non négligeable était introduit en faveur des thérapies qui traitent spécifiquement ces symptômes (les thérapies cognitivo-comportementales ou TCC, pour ne pas les citer), au détriment des thérapies de fond. De plus, la littérature internationale est très inégale, avec une nette surreprésentation des TCC, tandis que les études sur les thérapies psychodynamiques, en particulier chez l'enfant et l'adolescent, font cruellement défaut. Ce qui n'empêche pas les auteurs du rapport d'assumer la validité de leurs résultats.
Un catalogue à la Prévert.
Le résultat de l'expertise ressemble à un catalogue à la Prévert : pour la schizophrénie, thérapies familiales ou TCC sont jugées efficaces ; pour la boulimie, plutôt les TCC, mais, pour l'anorexie mentale, les thérapies familiales ; pour les personnalités antisociales et déprimées, les thérapies psychodynamiques, etc., avec au final un net penchant favorable pour les TCC.
Si la réaction épidermique de certains professionnels face à la démarche d'évaluation peut faire sourire, on est tout de même en droit de s'interroger sur la validité d'une étude reposant sur des textes éclectiques, destinée à analyser un ensemble très hétérogène (et non exhaustif) de thérapies pour des troubles tout aussi hétérogènes. L'Inserm rapproche cette expertise des évaluations de médicaments. Mais que dirait-on d'une évaluation de toutes les méthodes de traitement de toutes les maladies digestives, par exemple ? Cela semblerait avoir à peu près autant de sens. Cependant, malgré le côté surréaliste de cette expertise qui se veut, selon le directeur de l'Inserm, « une aide à la décision en santé publique », les associations de patients et de familles ont salué avec enthousiasme la publication du rapport. « Nous souffrons énormément des querelles de chapelle, alors que nous avons besoin de tout le monde », a expliqué la présidente de la Fnap-Psy, qui ajoute que, pour arriver à suivre une thérapie de long terme, il faut déjà avoir atténué certains troubles du comportement.
La place du soin.
Ainsi, le rapport aura au moins permis de mettre sur le devant de la scène, malgré ses lacunes intrinsèques, les vraies questions :
- le manque d'information des patients et des proches ;
- le manque d'évaluation des pratiques psychothérapiques dans un contexte de soins.
Au milieu de la polémique, William Dab a tenu à rassurer en précisant que « les connaissances que l'Inserm nous apporte ne sont pas suffisantes pour élaborer une politique de santé publique ». Cependant, on voit se profiler l'idée de la « rentabilité » des différentes approches thérapeutiques. Les défenseurs de la psychothérapie psychodynamique reprochent la partialité du rapport en faveur des TCC, qui traitent des symptômes et non des causes. Le débat est en réalité bien plus vaste, car l'enjeu est la place du soin dans notre société, que ce soit en psychothérapie ou en médecine somatique : le soin est-il destiné à rendre le patient opérationnel à court terme, ou à lui garantir une certaine qualité de vie à long terme ? Doit-il traiter les effets ou les causes ? Et si les différentes écoles thérapeutiques avaient été un peu plus transparentes dans leurs pratiques, si l'évaluation existait déjà suffisamment, si les patients et les familles étaient informés, cette drôle d'expertise n'aurait peut-être pas eu lieu d'être : si les psychothérapeutes veulent être reconnus dans la prise en charge des pathologies mentales, il faudra qu'ils retiennent cette leçon.
Ce qui a été étudié
Les trois types d'approches évalués :
- les approches psychodynamiques (psychanalytiques) ;
- les approches comportementales et cognitives ;
- les approches familiales et de couple.
Les troubles pris en compte : troubles anxieux, de l'humeur, schizophrénie, troubles des comportements alimentaires, de la personnalité, alcoolodépendance, autisme, hyperactivité, troubles des conduites.
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