C'est aujourd'hui que sera remis à Jean-François Mattei le rapport du Pr Yvon Berland, doyen de la faculté de médecine de Marseille, sur la démographie des professions de santé (voir encadré).
Le ministre de la Santé n'a pas attendu les conclusions de ce rapport pour lancer quelques mesures. Le gouvernement, par exemple, a déjà décidé de relever le numerus clausus de 4 700 à 5 100 en 2003 (« le Quotidien » du 4 octobre). Surtout, Jean-François Mattei a déposé un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) visant à étendre en zone rurale les « cabinets secondaires », actuellement ouverts à temps partiel et autorisés sous certaines conditions et seulement pour une durée de trois ans renouvelable (« le Quotidien » des 4 et 20 novembre).
Cet amendement au rapport annexé du PLFSS 2003 figure dans le texte définitivement adopté par le Parlement. Il précise que le gouvernement « favorise et encourage les initiatives pour assurer la permanence des soins, avec l'ensemble des acteurs locaux, notamment en offrant aux médecins la possibilité de s'implanter sur plusieurs sites » dans le but de « lutter contre la désertification, l'isolement et les problèmes de sécurité ».
L'Ordre planche sur le sujet
A la fin de 2001, le Conseil national de l'Ordre des médecins avait déjà émis l'idée d'autoriser l'exercice en lieux multiples dans un rapport rédigé par son actuel président, le Pr Jean Langlois. « L'amendement du gouvernement au PLFSS a un effet purement déclaratif », souligne le Dr Jacques Lucas, secrétaire général de l'Ordre national. Afin d'autoriser les médecins libéraux à exercer dans plusieurs sites, l'Ordre trouve « plus simple, sur le plan de la procédure » que le ministre de la Santé « prenne un décret pour modifier l'article 85 du code de déontologie médicale » sur les cabinets secondaires. Sur le fond, l'Ordre est cependant « en parfaite phase avec le gouvernement ». « La notion de cabinet secondaire a vécu », explique le Dr Lucas. D'où la nécessité de réviser l'article 85. L'autorisation d'ouvrir des cabinets multisites permettrait d'apporter une présence médicale dans certaines zones rurales défavorisées, mais aussi de mettre fin à une iniquité, puisque les membres des sociétés d'exercice libéral (SEL, minoritaires) ont déjà la possibilité de travailler dans cinq lieux différents.
« Il n'est pas nécessaire de limiter le nombre de sites autorisés », estime le Dr Lucas. En revanche, il souligne que la nouvelle version de l'article 85 du Code de déontologie devra éviter « la médecine foraine » en exigeant des garanties sur « la qualité, la sécurité et la continuité des soins » dans les cabinets annexes. Selon le Dr Lucas, l'exercice en lieux multiples pourrait être proposé aux médecins libéraux « au début de 2003, dès lors qu'il y a cohérence de vues entre le gouvernement, l'Ordre national et les organisations professionnelles ».
Les syndicats médicaux sont partants
L'idée ravit en tout cas les principaux syndicats de médecins libéraux. « L'exercice en lieux multiples faisait justement partie des dix points que nous avons soumis au groupe de travail du Pr Berland et presque toutes nos propositions ont été reprises à ce jour », se félicite le Dr Michel Chassang, président de la première centrale syndicale de médecins libéraux, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).
Le Dr Dino Cabrera, à la tête du Syndicat des médecins libéraux (SML), estime de même que l'exercice en lieux multiples « est une bonne chose », à condition, bien sûr, qu'il se fasse « sur la base du volontariat » pour ne pas contraindre les médecins libéraux, actuellement « écorchés vifs » chaque fois qu'on évoque le problème de la permanence des soins.
Les cabinets multisites paraissent « tout à fait nécessaires » au Dr Jean-Marc Rehby, qui est à la fois président de la branche généraliste de la Fédération des médecins de France (FMF) et porte-parole de la Coordination nationale des médecins généralistes (CONAT). Le Dr Rehby pense que « cela va résoudre des problèmes dans les endroits où l'on manque de médecins ».
Le président du syndicat MG-France, le Dr Pierre Costes, trouve l'idée séduisante, dans la mesure où le phénomène de désertification médicale se produit là où les praticiens se heurtent à « des difficultés d'exercice et/ou de vie pour leurs conjoints ». Mais MG-France, rappelle-t-il, « préfère les solutions simples qui laissent faire les SCM normales [sociétés civiles de moyens, NDLR] et donnent libre cours à l'inventivité des médecins, comme pour les maisons médicales de garde ». Le Dr Costes considère que cinq ou six médecins, associés en SCM dans un cabinet de groupe en ville, peuvent parfaitement se relayer un jour par semaine à la campagne afin d'y assurer « une présence, une compétence et un partage de la difficulté d'exercice ». En outre, « là où il y a peu d'habitants, un médecin n'a pas besoin d'être présent en permanence, une infirmière peut suffire le reste de la semaine », fait remarquer le président de MG-France.
Il reste que l'exercice en lieux multiples n'est pas la panacée. C'est une solution parmi d'autres pour répondre aux besoins médicaux.
Une solution à combiner avec d'autres
La prime à l'installation de 13 000 euros, prévue par l'accord du 24 janvier 2002 signé entre MG-France et les caisses d'assurance-maladie, pourrait être remise à l'ordre du jour si le ministre de la Santé tient sa promesse (faite devant les députés) de publier « avant la fin de l'année » l'indispensable décret qui doit définir précisément les zones désertifiées donnant droit à une prime. MG-France n'est pas, en tout cas, favorable aujourd'hui à une prime ponctuelle et donc non pérenne. Le syndicat défend plutôt l'idée de « forfaits de structures », qui pourraient être cofinancés par l'assurance maladie et les collectivités locales et apporteraient une aide au fonctionnement des cabinets sur le long terme.
Le président du SML pense que les collectivités locales rurales en mal de médecins pourraient assurer « une prise en charge partielle des charges du cabinet ».
Autre piste : le développement du statut de collaborateur libéral. A défaut de créer de nouvelles installations en zone désertifiée, cette solution permet au moins de soutenir les médecins débordés. « Les collaborations, qui ne nécessitent aucun investissement, se feraient alors sous forme de salariat ou d'honoraires rétrocédés », précise le Dr Chassang. Le président de la CSMF ne voit pas pourquoi les médecins n'auraient pas le droit d'exercer en tant que « collaborateurs libéraux » alors que « les dentistes, les kinés, les infirmiers, les biologistes, les vétérinaires et les avocats le font déjà ». Le statut de collaborateur de médecin est actuellement à l'étude au sein de la Délégation interministérielle aux professions libérales, avec la participation de l'Ordre national. Ce nouveau statut est une alternative à l'assistanat qui est aujourd'hui pratiquement interdit par le Code de déontologie médicale (sauf circonstances exceptionnelles : épidémies, afflux de population...). Le statut de collaborateur libéral devrait séduire à la fois les jeunes médecins et les femmes désireuses de travailler à temps partiel.
La combinaison de ces différentes solutions promet en tout cas un changement sensible de l'exercice médical dans les années qui viennent.
Les grandes lignes du rapport Berland
Le rapport Berland est le fruit d'un groupe de travail « Démographie des professions de santé », mis en place par le ministre de la Santé en juillet dernier. Le document qu'il remet aujourd'hui à Jean-François Mattei préconiserait notamment la hausse progressive du numerus clausus (nombre de places en deuxième année du premier cycle d'études médicales) de 5 100 en 2003 à 8 000 d'ici à 2007, ainsi que la régionalisation du concours de l'internat afin de stabiliser les étudiants dans la région où ils effectuent le troisième cycle de leurs études (« le Quotidien » du 20 novembre). Le rapport Berland fait aussi des propositions pour remédier à l'inégale répartition du corps médical sur le territoire tout en respectant le principe de la liberté d'installation. Privilégiant des mesures incitatives, le rapport Berland préconiserait en effet des aides fiscales pérennes et des exonérations de charges. Ces mesures pourraient favoriser le développement de cabinets secondaires et de maisons de soins dans les zones rurales désertifiées.
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