Le congrès annuel des Néphrologues Francophones se tient cette année à Nancy. Nous sommes accueillis par le Pr Michèle Kessler qui anime une équipe dynamique et poursuit, avec talent, l'uvre initiée par l'un de nos pionniers, le Pr Claude Huriet. Pour la première fois dans l'histoire de notre spécialité, ce congrès sera l'occasion d'une diffusion immédiate de l'information vers nos collègues des autres disciplines. Il n'est que temps de le faire.
Au cours des trois dernières décennies, la néphrologie s'est individualisée hors de la médecine interne. La mise en place des traitements de suppléance de l'insuffisance rénale chronique terminale (dialyse ± transplantation), qui a accaparé nombre d'entre nous, en fut le point de départ. Nous avons acquis une incontestable maîtrise de ces thérapeutiques, devenues accessibles à tous les patients, y compris ceux du troisième âge. Mais cette « instrumentalisation » de notre spécialité a contribué à nous isoler, alors que notre exercice, pour être de qualité, doit être multidisciplinaire. En effet, les multiples étiologies des néphropathies chroniques (infectieuses, immunologiques, métaboliques, toxiques médicamenteuses ou non, hémodynamiques, héréditaires, etc.) et les complications extrarénales, souvent révélatrices de l'insuffisance rénale chronique (cardio-vasculaires, hématologiques, nutritionnelles, osseuses, etc.) expliquent que les généralistes et de nombreux spécialistes (cardiologues, diabétologues, internistes, gériatres, etc.) soient les mieux placés pour dépister les maladies rénales, souvent initialement peu symptomatiques cliniquement. Ces mêmes collègues ont aussi un rôle irremplaçable pour le suivi au long cours de ces patients. Des protocoles thérapeutiques doivent permettre de ralentir la progression irrémédiable de toutes les insuffisances rénales chroniques vers le stade terminal. Faute, sans doute, de les avoir fait connaître, de nombreux malades nous sont encore adressés trop tard, parfois seulement à la veille du premier traitement de suppléance.
Or, par sa fréquence et sa gravité, l'insuffisance rénale chronique est actuellement considérée comme un problème de santé publique. En sont essentiellement responsables : la véritable « épidémie » de diabète de type 2 à laquelle nous assistons et l'allongement de la durée de la vie avec une diminution indiscutable de la mortalité par accidents aigus cardio-vasculaires, ce qui laisse aux lésions rénales induites par le vieillissement, le temps de devenir symptomatiques.
L'incidence exacte de l'insuffisance rénale chronique débutante est encore incomplètement connue. En revanche, le nombre des nouveaux malades contraints à un traitement de suppléance a régulièrement augmenté, d'environ 5 % par an, au cours de la dernière décennie. Il est actuellement en France de 100 par million d'habitants pour la tranche d'âge 30-40 ans et atteint 1 200 pour les plus de 75 ans. Les handicaps induits par ces traitements, leur morbi-mortalité propre et leur coût expliquent les défis devant lesquels sont placés les néphrologues, fort bien analysés par le Pr Canaud (voir son éditorial).
Face à ces défis, l'une des réponses, la meilleure sans doute, c'est de parvenir à prévenir l'insuffisance rénale chronique ou, au moins, à retarder significativement l'heure du traitement de suppléance, tout en évitant les complications extrarénales de l'urémie chronique. Cela demande un dépistage précoce, possible au prix de quelques examens peu coûteux et non traumatisants : mesure de la pression artérielle, recherche d'une anomalie des urines (protéinurie, hématurie) et dosage de la créatinine plasmatique. Ce dépistage doit être ciblé sur les populations à risque qui ont été bien individualisées. Ces mesures ont fait l'objet d'une recommandation récente de l'ANAES.
Ce dépistage doit amener à un recours précoce aux néphrologues, auxquels revient la prescription des explorations plus sophistiquées pour préciser le diagnostic étiologique et définir les traitements. Leur efficacité est reconnue. Parvenir au contrôle strict de l'hypertension artérielle, réduire le débit de protéinurie, lutter contre les facteurs de risque cardio-vasculaire, y compris le surpoids et le tabagisme sont des impératifs. Atteindre tous ces objectifs réclame une collaboration harmonieuse multidisciplinaire.
L'organisation d'un tel suivi est d'autant plus souhaitable que notre pays est placé devant les problèmes posés par un déficit sévère en professionnels de la santé, problèmes analysés dans le récent rapport de notre collègue, le Pr Y. Berland. Les néphrologues n'y échappent pas. Une étude exhaustive de notre démographie, réalisée sous l'impulsion de nos sociétés savantes à la fin de 2002, nous amène à des prévisions inquiétantes : la relève des néphrologues n'est pas assurée. Aussi, la redéfinition des tâches de chacun est-elle urgente car le transfert de charges et de compétences entre les professionnels, voire la création de nouveaux métiers, sont des solutions déjà envisagées par « nos politiques ». Elles devraient favoriser un indispensable travail en réseaux, au sein desquels les actions de prévention et d'éducation devraient mieux trouver leur place. Il serait déraisonnable de s'opposer aux réflexions en cours, malgré les inévitables inquiétudes provoquées par la perspective de modifications des pratiques.
Cette évolution n'est en rien contradictoire avec l'impérieuse nécessité de former des néphrologues. Ils auront à faire face à des tâches de soins, encore nombreuses. Ils doivent également être encouragés à s'engager dans les secteurs de la recherche tant fondamentale que clinique. Plusieurs champs d'investigation restent ouverts : étudier des mécanismes qui président au développement des lésions au cours des néphropathies et du vieillissement, définir les différents facteurs, notamment génétiques et de l'environnement, qui prédisposent à l'insuffisance rénale chronique et à son aggravation plus ou moins rapide, identifier de nouveaux moyens, en particulier pharmacologiques, de s'y opposer, etc. Pour ce faire, notre spécialité doit obtenir le soutien des organismes officiels de recherche. Elle sait aussi pouvoir compter sur ses partenariats avec les industriels, déjà largement mis en place au cours des dix dernières années. Les retombées en furent nombreuses : nous les évoquerons au cours d'une session spéciale de notre congrès
L'exercice de la néphrologie : de la nécessité d'une collaboration multidisciplinaire
Publié le 29/09/2003
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Pr Françoise MIGNON présidente de la Société de néphrologie hôpital Bichat - Claude-Bernard, Paris
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 7393
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