Le QUOTIDIEN
La recherche pharmacologique pédiatrique est encore embryonnaire, quels sont les problèmes rencontrés ?
Pr GERARD PONS
L'absence de médicaments adaptés à l'enfant amène beaucoup de médecins, en particulier des pédiatres hospitaliers mais aussi en ville, à prescrire des médicaments hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Grossièrement, le niveau de prescription hors AMM des médicaments s'élève à 60 % des prescriptions en milieu hospitalier, à 20 %-30 % en pédiatrie de ville et jusqu'à 80 %-90 % en soins intensif de néonatalogie. Plusieurs travaux européens et américains ont ainsi permis de soulever l'importance du problème en confrontant les prescriptions avec le résumé des caractéristiques du produit (RCP) qui fait référence en la matière (indications du Vidal).
Ces chiffres sont considérables, quelle est la part de responsabilité de l'industrie et des pouvoirs publics ?
Tout le monde est responsable, il ne faut pas diaboliser les entreprises pharmaceutiques qui fonctionnent selon une logique de marché avec nécessité d'un retour sur investissement. Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer pour aider la mise à disposition des médicaments. Les cliniciens qui prescrivent hors AMM se mettent dans une situation juridique à risque, mais il ne faut pas oublier que le risque le plus important concerne les petits patients eux-mêmes. L'absence d'évaluation est à l'origine historiquement d'effets indésirables graves qui ont fait prendre conscience de la nécessité d'un développement spécifique. En effet, l'enfant présente des différences aussi bien en terme de pharmacocinétique (résorption, distribution, transformation métabolique, élimination) que de pharmacodynamie. Aux mêmes doses, les enfants auront des réponses d'intensité ou de nature différente parce que leur organisme est en cours de développement. De plus, certaines maladies sont spécifiquement pédiatriques ou ont des caractéristiques différentes de l'adulte. C'est une raison supplémentaire d'impossibilité d'extrapoler à l'enfant les résultats obtenus chez l'adulte.
La rareté des médicaments pédiatriques s'explique par des raisons financières, techniques (la mise au point d'une forme liquide pose des problèmes de stabilité, de masquage du goût) et méthodologiques. Un essai clinique chez l'enfant nécessite de mettre au point des outils d'évaluation spécifiques ce qui, malgré les progrès accomplis, continuent de représenter une difficulté à surmonter.
Vous n'avez pas parlé des problèmes éthiques, ne pensez-vous pas qu'ils limitent la réalisation d'essais cliniques chez l'enfant ?
Les problèmes éthiques sont un faux problème, il y a des contrevérités à ce sujet. La participation d'un enfant à une recherche biomédicale pose des problèmes éthiques de la même façon que celle d'un adulte mais pas d'avantage. La vraie question éthique est de savoir si l' on est autorisé à prescrire à l'enfant des médicaments non évalués à son âge. Les prescriptions hors AMM représentent autant d'expériences sauvages dont les résultats non colligés ne pourront pas être utiles aux patients de ce groupe. Les enfants ont autant le droit que les adultes à avoir des médicaments correctement évalués. La participation à un essai clinique suppose que le protocole a été examiné par un comité de protection des personnes, que les candidats sont libres de ne pas y participer ou d'interrompre leur participation à tout moment. Par ailleurs, les sujets font l'objet d'une surveillance plus étroite que les patients normalement traités. C'est un élément de sécurité supplémentaire. Le problème « éthique » que vous soulevez est plutôt un problème d'ordre psychoaffectif et irrationnel. Les nouvelles molécules sont rarement administrées d'emblée à l'enfant sauf en cas de maladies spécifiques à cet âge et pour lesquelles on ne peut pas faire d'essais cliniques chez l'adulte (maladie des membranes hyalines...). Comme toujours, la décision de l'essai est prise en fonction de la balance entre les risques de la maladie et ceux du médicament. Les réticences éthiques peuvent porter autant sur le groupe traité que sur le groupe placebo. Pour le groupe placebo, cette réticence implique que l'on préjuge de l'efficacité du médicament. Par ailleurs, les enfants sous placebo sont à l'abri des effets indésirables éventuels du médicament à l'étude et ils bénéficient d'un ensemble de surveillances rapprochées. Il est également toujours possible de les mettre à l'abri d'une éventuelle carence thérapeutique dans le groupe placebo grâce à l'utilisation d'un traitement de recours.
A-t-on espoir de voir évoluer les choses ? La recherche pharmacologique pédiatrique va-t-elle s'intensifier ?
Récemment, le vote au Parlement de la directive européenne sur les essais cliniques bloquait. Une majorité d'élus bien intentionnés souhaitaient restreindre, voire même empêcher les essais cliniques chez l'enfant par déficit d'information.
Aux Etats-Unis, en revanche, un mouvement en faveur du développement des médicaments chez l'enfant s'est concrétisé en 1997-1998 avec la promulgation de deux nouvelles lois concernant l'évaluation des médicaments chez l'enfant. Une loi d'incitation Pediatric Exclusivity apporte aux industriels qui fournissent à la FDA le dossier demandé pour une forme pédiatrique la possibilité de prolonger le brevet de la molécule pendant six mois. Cette prolongation qui porte à la fois sur la forme pédiatrique et sur toutes les autres formes du produit garantit aux industriels une augmentation du retour sur investissement. La deuxième loi appelée Pediatric Rule est une loi qui contraint les industriels à déposer systématiquement un dossier de demande de mise sur le marché pour l'enfant lors de toute demande d'AMM pour un médicament destiné à l'adulte. En cas de non-présentation du dossier pédiatrique, l'industriel doit donner une raison légitime ou annoncer le calendrier pour le développement ultérieur chez l'enfant. Ces mesures sont couronnées de succès puisque la FDA a reçu beaucoup de dossiers de demande de mise sur le marché chez l'enfant. En Europe, pendant le semestre de la présidence française (fin 2000), une réflexion initiée par le ministère de la Santé a abouti à un mémorandum sur les médicaments pédiatriques, accepté à l'unanimité par l'ensemble des ministres européens de la Santé. Le Conseil a ensuite voté une résolution sur les médicaments pédiatriques demandant à la Commission européenne de préparer des mesures qui permettront de mettre à la disposition des enfants les médicaments dont ils ont besoin. La commission prépare un texte de loi probablement proche des lois américaines mais adapté à la situation européenne. La première version de ce travail est attendue en mars 2002. On peut espérer une mise en application dans les deux années à venir.
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