C'était décidé d'un commun accord, entre Vincent, 21 ans, tétraplégique, quasi aveugle et muet, et sa mère, Marie Humbert. Elle lui avait promis de l'aider à mourir, trois ans après l'accident de voiture qui l'avait brisé et plongé dans cette « non-vie », cette « vie de merde », comme il la désignait.
Avant d'en arriver à ce pacte intime, ils avaient pourtant tout essayé, alertant l'opinion publique. La médiatisation de leur drame avait commencé par la lettre que Vincent, hospitalisé au centre héliomarin de Berck-sur-mer, avait adressée au président de la République, en décembre 2002, pour lui demander « le droit de mourir ».
Livre testament
Vincent ne pouvait plus communiquer qu'en activant le pouce droit sur la main de son interlocuteur. « Tous mes sens vitaux ont été touchés, à part l'ouïe et l'intelligence, ce qui me permet d'avoir un peu de confort... Je bouge très légèrement la main droite en faisant une pression avec le pouce à chaque bonne lettre de l'alphabet. Ces lettres constituent des mots et ces mots forment des phrases », racontait-il dans sa lettre. Bernadette et Jacques Chirac avaient rencontré Marie Humbert, soutenu Vincent, sans répondre à leur détresse.
Marie Humbert, qui venait voir son fils tous les jours, a attendu le 24 septembre, date anniversaire de l'accident, pour exécuter sa promesse. Elle a injecté à son fils, dans l'une de ses perfusions, du pentobarbital de sodium qu'elle se serait procuré en Suisse.
Dans un livre « Je vous demande le droit de mourir » (Edition Michel Lafon), qui devait paraître le lendemain, le 25 septembre, Vincent annonce sa mort : « J'ai voulu ce livre testament, je dis bien testament, car je vais mourir. Je vais partir à une date que seuls ma mère et moi connaissons et avons choisie. » Ce livre, Vincent l'a écrit pour expliquer sa démarche mais aussi pour protéger sa mère des conséquences juridiques de cet acte : « Ne la jugez pas, ce qu'elle aura fait pour moi est certainement la plus belle preuve d'amour », écrit Vincent.
Selon la loi française, provoquer la mort d'une personne, même pour abréger ses souffrances, est strictement interdit et passible de sanctions pénales pour tentative d'homicide volontaire ou tentative d'assassinat. En janvier 2000, le Comité consultatif national d'éthique proposait de maintenir la pénalisation de l'euthanasie tout en reconnaissant une exception, dans des cas de « détresse, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable ».
Depuis, le débat sur l'euthanasie (ravivé notamment en décembre 2002, par la mort de Mireille Jospin puis cette année par le procès de Christine Malèvre) n'a guère avancé entre les pro, notamment les membres de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité, et les anti. Préférant parler d'accompagnement et de développement des soins palliatifs, le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, est opposé à toute légalisation, comme semble l'être le président de la République. En avril, le député socialiste Jean-Paul Dupré a déposé une proposition de loi pour « le droit de finir sa vie dans la liberté », qui reste sans suite. Dominique Perben, le ministre de la Justice, a précisé qu'il n'y a avait pas de projet de texte actuellement. « Mais nous sommes confrontés à une difficulté qui ne va pas diminuer, car de plus en plus de personnes se retrouvent dans un état où elles survivent, a-t-il estimé. Et les technologies modernes peuvent faire en sorte que cela dure très longtemps. » Nadine Morano, députée UMP, et Gaëtan Gorce, député PS, ont proposé de « créer une commission spéciale chargée de procéder aux auditions nécessaires et de préparer une proposition de loi qui pourrait être votée sur tous les bancs ». Quant à François Fillon, ministre des Affaires sociales, il demande la tenue d'un débat pour modifier notre législation.
Limiter les thérapeutiques actives
Interpellée à l'hôpital et placée en garde à vue, Marie Humbert a finalement été libérée jeudi dernier. Elle a accepté d'être dirigée vers un hôpital psychiatrique « pour être soutenue et ne pas être seule », a précisé son avocat Me Hugues Vigier. « Elle a besoin de se reposer et de dormir. Sans médicament, je ne pense pas qu'elle y arriverait », a-t-il poursuivi en se déclarant satisfait de « la sérénité de la justice » au regard de cette situation exceptionnelle. « Il n'y aura pas de mise en examen tout de suite, elle sera bien entendu convoquée mais pas immédiatement », a-t-il dit. Le ministre de la Justice a demandé au parquet de Boulogne-sur-Mer de « faire preuve de la plus grande humanité dans l'application de la loi ».
Marie Humbert avait estimé que les conséquences de son geste n'auraient « pas d'importance » face aux souffrances endurées par son fils. Entré en coma profond après l'injection du produit toxique, Vincent est mort vendredi. L'équipe médicale qui le suivait a indiqué dans un communiqué qu'elle avait décidé, collectivement et « en toute indépendance », « de limiter les thérapeutiques actives », « compte tenu du tableau clinique, de l'évolution et des souhaits qu'avait exprimés Vincent à diverses reprises ».
Francis, le père de Vincent, séparé de Marie Humbert depuis plusieurs années, s'est dit « extrêmement soulagé de savoir que Vincent a réussi à faire ce qu'il voulait, mais j'ai une énorme peine et je dois accuser le coup car j'ai perdu un fils ». M. Humbert avait totalement approuvé le geste de son ex-épouse. « Je suppose qu'elle est aussi dans un état de tristesse énorme car elle perd aussi un fils », a-t-il ajouté.
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