L'Europe sur le point d'améliorer son système des brevets

Publié le 14/03/2002
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Pour breveter son invention, une société européenne peut suivre trois procédures. Elle peut déposer un brevet dans un seul pays, auprès de l'Office national des brevets correspondant (l'Institut national de la propriété industrielle, INPI, pour la France). Après délivrance, les droits obtenus concernent ce seul pays.

Si la société souhaite étendre ses droits à l'étranger, elle a deux solutions. Adresser une demande internationale couvrant tout ou partie des 110 pays de l'Organisation mondiale de la propriété industrielle (OMPI). Ou, à un niveau intermédiaire, déposer un brevet auprès de l'Office européen des brevets (OEB). Dans ce cas, la protection est valable dans le ou les pays désignés par le déposant parmi les vingt pays membres du système européen des brevets.
C'est ce système européen des brevets, en place depuis 1973, qui est en cours de révision. Car une fois délivrés par l'OEB, les brevets européens doivent être enregistrés dans chaque pays désigné et traduits dans toutes les langues officielles de l'Union. Ce qui entraîne systématiquement une grande perte de temps et d'argent.

Long et cher

Perte de temps, tout d'abord. Il s'écoule en moyenne cinq ans entre la date de dépôt d'un brevet auprès de l'OEB et sa délivrance. En comparaison, ce délai est beaucoup plus court en France : l'INPI met environ 18 mois à traiter un dossier. Aux Etats-Unis, un déposant obtient généralement satisfaction au bout de trois ans. A l'OEB, ce trop long délai constitue un point faible : il retarde les applications industrielles et donc les rentrées d'argent pour la société innovante.
Perte d'argent, ensuite. Le coût du brevet européen est effectivement trop élevé : de 3 à 5 fois plus qu'aux Etats-Unis et au Japon. Il est aussi deux fois plus cher que le brevet français. Le ticket d'entrée (30 000 euros en moyenne) est dissuasif pour de nombreuses entreprises (« seulement » 10 000 euros aux Etats-Unis). La faute en bonne partie au coût des traductions (40 %).

Quelle langue ?

Malgré ces handicaps, l'OEB demeure l'un des offices des brevets les plus importants dans le monde, avec l'Office américain et l'Office japonais. A eux trois, ils délivrent 80 % des brevets mondiaux. Mais, pour éviter que, dans un futur plus ou moins proche, ce système vieux de 29 ans ne freine le commerce européen, une réforme est actuellement à l'étude : le brevet communautaire. Un accord prévoyant sa création pourrait être conclu lors du prochain conseil ministériel du Marché intérieur, le 21 mai prochain.
L'objectif du brevet communautaire est d'homologuer les inventions et les produits au sein des Quinze en instaurant un titre de protection qui soit le même sur tout le territoire de l'Union européenne, plus rapide d'obtention et moins onéreux que le système actuel. La question linguistique, à savoir dans quelle langue devra être traduit le brevet communautaire (l'anglais, a priori), est au cœur de l'imbroglio qui retarde encore l'accord des Quinze.
Le brevet communautaire pourrait être la solution à un autre problème propre au système européen : le manque d'harmonisation des jurisprudences des offices nationaux et des juridictions. En effet, en cas de litige sur un brevet européen, les tribunaux nationaux saisis peuvent rendre des avis opposés. Dans l'attente d'une transposition uniforme dans les Etats membres de la directive de 1998, la situation restera inchangée. De même, en l'absence d'un tribunal spécialisé en matière de brevets, la sécurité juridique restera insuffisante. Avec le brevet communautaire, seule la Cour de justice européenne serait habilitée à traiter les litiges.

Une période de grâce

Une autre question reste en suspens : faut-il mettre en place une période de grâce en Europe ? Il s'agit d'un délai d'un an qui permet à une personne de rendre publique son invention tout en restant autorisée, dans l'année qui suit, à déposer un brevet couvrant son invention. Une récente étude révèle que les laboratoires publics européens y sont favorables. Logique, cela leur assurerait l'indispensable reconnaissance de leurs pairs, sans exclure la possibilité d'applications industrielles. Les industriels européens, en revanche, se disent farouchement opposés à cette période de grâce.
Aux Etats-Unis, la période de grâce est autorisée. Comparé au système européen, le système américain des brevets est souvent considéré comme un modèle d'efficacité. Au-delà de la différence entre la « common law » et le droit romano-germanique, ce sont deux cultures du commerce international qui diffèrent. Le système américain des brevets contient plusieurs particularités que les Européens se doivent de connaître s'ils veulent étendre leurs brevets outre-Atlantique.
Par exemple, aux Etats-Unis, le droit au brevet appartient au premier inventeur, et non au premier déposant comme c'est le cas en Europe. A priori plus équitable, le système américain est toutefois plus compliqué : il n'est pas si aisé de prouver qu'on est bel et bien à l'origine de l'invention.
En Europe, les revendications portant sur une invention ne peuvent plus être modifiées après la délivrance du brevet. Aux Etats-Unis, en revanche, le titulaire a toujours la possibilité d'adapter ses revendications. Il peut ainsi évincer du marché un concurrent gênant.
Pour les brevets américains ne faisant pas l'objet d'extension hors des Etats-Unis, la publication de la demande de brevets n'intervient qu'au moment de sa délivrance (en Europe, elle s'effectue dix-huit mois après le dépôt). D'où l'impossibilité pour les tiers de connaître la démarche en cours, et donc d'anticiper sur les brevets à venir.
Conscients que leur système des brevets est très différent des autres, les Etats-Unis militent en faveur d'une harmonisation des règles de protection, plus simples, plus transparentes, en Europe, en Asie, en Afrique... sans pour autant abandonner leur système sur leur propre sol. Dans l'attente de l'instauration d'une réglementation mondiale unique sur les brevets, espérons que le brevet communautaire, s'il est créé, permettra à l'Europe de continuer à rivaliser avec ses grands concurrents.

Les particularités des brevets sur le vivant


Première difficulté propre aux brevets sur le vivant : selon le système des brevets considéré, le champ de ce qui est brevetable varie. Déposer un brevet sur des méthodes de diagnostic, de chirurgie et de thérapie appliquées directement au corps humain est, par exemple, interdit en Europe, mais légal aux Etats-Unis. Les inventions de procédés, d'utilisation et de produits sont en théorie toutes brevetables sur le plan international. Parmi les produits, on trouve les médicaments, la thérapie cellulaire et génique, les microorganismes, les cellules, voire un animal entier, etc. Mais, là encore, des interdictions locales existent.
Les critères d'évaluation de l'innovation peuvent également varier d'un système à l'autre. L'OEB tient compte, par exemple, de la souffrance des animaux ou des risques pour l'environnement. Ce n'est pas le cas de l'USPTO.
Autre difficulté propre aux biotechnologies : il est difficile de démontrer qu'une invention est réellement nouvelle vu la quantité d'éléments déjà brevetés qu'elle fait intervenir (gènes, vecteurs, milieu de culture, etc.).
La nature et l'imbrication des connaissances sur le vivant permettent de faire porter le monopole très loin, au-delà de ce qui existe pour les autres sciences. Les grosses sociétés au portefeuille rembourré sont capables de surmonter une telle situation. En revanche, il n'est pas dit que, sur le long terme, les PME et PMI, mais aussi les organismes de recherche publique et les universités pourront s'en accommoder, alors que, en plus des coûts élevés de recherche, il est nécessaire de composer avec plusieurs tiers en leur versant des redevances.

Delphine CHARDON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7087