C'EST un pharmacien amer qui présente, lors du
colloque sur la contrefaçon de médicaments organisé par l'Ordre des pharmaciens, les résultats édifiants de la récente enquête menée sur les marchés de Conakry, en Guinée. A l'écouter, on comprend vite pourquoi. Fodé Oussou Fofana, président de l'Ordre des pharmaciens de Guinée, rapporte en effet que, sur 137 médicaments prélevés et analysés sur ces marchés, plus de 60 % se sont révélés non conformes. Plus grave encore : parmi ces médicaments contrefaits, un produit sur cinq ne contenait aucun principe actif.
Situation dramatique en termes de santé publique qui, étroitement liée au statut local du pharmacien et à la banalisation du médicament, préoccupe aujourd'hui de nombreux pays en voie de développement.
« L'expérience libanaise montre que les phénomènes de contrefaçon et de contrebande se sont développés lorsque la modification du contexte réglementaire a transformé les pharmaciens en simples commerçants et a amené la banalisation du médicament », expliquele Dr Ziad Nassour, président de l'Ordre des pharmaciens libanais. Au Liban, où la circulation de médicaments contrefaits déclenche une nouvelle concurrence entre les officines, on est à l'heure de la prise de conscience : « Il y a quelques semaines, quatre pharmacies ont été fermées à la suite d'une inspection », souligne le Dr Nassour.
Absence de principe actif dans 43 % des cas. Pour mieux prendre la mesure du désastre, Lembit Ragö, de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), rappelle que, au niveau mondial, 43 % des médicaments contrefaits ne contiendraient aucun principe actif. Quant aux facteurs favorisant le commerce des contrefaçons, ils sont multiples, explique-t-il : « Une infrastructure de santé défaillante, voire absente, l'existence de marchés de fabrication et de distribution incontrôlés, un déficit d'approvisionnement en médicaments, des différentiels de prix importants entre pays pauvres et pays riches, ou encore la signature de nouveaux accords relatifs au commerce permettant l'ouverture des frontières et la vente sur Internet. »
Autant de circonstances qui, heureusement, sont rarement réunies à l'intérieur des frontières européennes. « Si, grâce à l'efficacité de son circuit de distribution pharmaceutique, l'Union européenne est pour l'heure relativement épargnée par les faux médicaments, estime Philippe Duneton, chargé de mission Europe et International sur le médicament, les menaces sont aujourd'hui bien réelles, notamment du fait de l'élargissement de l'Union européenne, de l'augmentation des importations parallèles et de la diffusion des produits sur Internet. »
Développer la dissuasion technique.
Dans ce contexte, c'est aux douanes françaises que revient avant tout le rôle de traquer la contrefaçon médicamenteuse. « Une tâche difficile, car s'il est aisé de reconnaître un faux Lacoste, le repérage d'un faux médicament est beaucoup plus délicat », témoigne Wilfrid Rogé, de la direction générale des Douanes. Pour l'aider dans sa mission, l'administration douanière sollicite les laboratoires pour la fourniture de descriptifs précis concernant leurs produits.
Autre moyen de lutte : « Il faut multiplier les difficultés techniques pour dissuader les contrefacteurs », explique pour sa part Pierre Delval, chargé de mission auprès de Nicolas Sarkozy, qui prône le principe général de prévention et de dissuasion technique. L'authentification et la traçabilité du produit représentent l'une des pistes en chantier. Une piste intéressante, estime le Dr Yves Juillet, conseiller du président du Leem (Les Entreprises du médicament), mais dont les limites techniques exigent de la chaîne des professionnels du médicament qu'ils adoptent une attitude proactive à l'égard du problème.
« C'est une piste qu'il faut absolument développer, déclare quant à lui Jean-Luc Audhoui, membre du Conseil national de l'Ordre. En s'inspirant, par exemple, du modèle mis au point en Belgique où chaque produit est immatriculé ; je suis militant d'une traçabilité du médicament qui irait jusqu'au patient », souligne enfin le représentant ordinal.
Sécuriser Internet
« Peut-on réellement réglementer l'usage d'Internet en matière de vente de médicaments ? Cela me paraît impossible », estime Jean Parrot. En revanche, le président de l'Ordre, s'appuyant sur le modèle allemand, croit beaucoup au développement en France d'un site pharmaceutique sécurisé. Reconnu par les autorités, ce site, conçu à l'intention du public, renseignerait le patient et l'orienterait vers l'officine la plus proche de son domicile. « Ce projet en est au stade de la préétude », confie Jean Parrot. A suivre.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature