JOSE LUIS ZAPATERO est l'anti-Aznar par excellence : il va se rapprocher des thèses française et allemande dans à peu près tous les domaines : pas question, pour les socialistes au pouvoir à Madrid, de suivre l'Amérique en matière de diplomatie ; pas question de rester dans le camp, celui du Royaume-Uni, de la Pologne (qui se sent soudain bien seule) et d'autres Etats qui s'apprêtent à devenir membres de l'Union européenne, et sont proches des Etats-Unis. Pas question de conserver les grandes ambitions de José Maria Aznar, l'homme qui, avec les Polonais, a bloqué l'adoption de la Constitution.
Le poids de l'Espagne.
Jacques Chirac et Gerhard Schröder, qui se sont vus mardi à Paris, n'auront pas manqué de noter ce très important changement, lequel montre, a contrario, combien l'Espagne pesait sur l'avenir des 25. Certes, sa victoire aux élections ne fait pas de M. Zapatero un béni-oui-oui et l'occasion se présentera souvent, pour son gouvernement, de faire valoir les intérêts bien compris de son pays. Mais une hypothèque sérieuse vient d'être levée ; elle rend à l'Europe une cohésion qui accroît la singularité des vues britanniques et polonaises. Elle montre aussi à George W. Bush que ses efforts pour créer des coalitions, militaires ou politiques, qui se seraient dressées contre l'axe franco-allemand sont illusoires. Il ne lui reste comme alliés importants en Europe que Tony Blair, déjà condamné politiquement, et Silvio Berlusconi, détesté par une majorité d'Italiens, y compris ceux qui ont voté pour lui.
Cependant, le coup de théâtre électoral en Espagne ne va pas guérir tous les maux européens du jour au lendemain. Très vivement critiqué par 80 % des Espagnols pour sa politique proaméricaine, M. Aznar n'en était pas moins l'homme fort de son pays. Ses huit années de pouvoir ont transfiguré l'Espagne, dont les progrès économiques ne sont plus à décrire. S'il n'y avait eu les attentats de Madrid, le Parti populaire serait resté au pouvoir.
EXERGUE
CE N'EST PAS D'UN ELAN EUROPEEN QUE NAITRA UN MOUVEMENT DE L'HISTOIRE, MAIS DES ELECTIONS AMERICAINES
Le club des éclopés.
M. Chirac et M. Schröder ne sont pas dans la même position : leur bilan économique et financier est carrément mauvais ; la France et l'Allemagne ont des déficits publics et des dettes nationales, un taux de chômage, une crise sociale, une crise de popularité des partis dirigeants qui font du président et du chancelier des hommes d'Etat amoindris.
En accourant vers eux, M. Zapatero leur apporte infiniment plus qu'ils ne peuvent lui donner. On va donc assister - peut-être - à la formation d'un consensus européen de nature à favoriser l'adoption de la Constitution, mais ce club des éclopés où M. Zapatero fera figure de héros, parce qu'il aura bénéficié des avantages légués par son prédécesseur, n'a pas vraiment devant lui un avenir étincelant. En d'autres termes, pour faire une bonne politique européenne ou étrangère, il vaut mieux avoir une économie en forme et un soutien populaire assez large. Ce qui n'est le cas ni de M. Chirac, ni de M. Schröder.
En outre, l'imprévisible Silvio Berlusconi et le subtil Tony Blair ne vont pas s'en laisser conter. Certes, ils sont tous les deux dans la position de M. Aznar : les Italiens et les Anglais leur reprochent de façon acerbe leur engagement avec les Etats-Unis. Outre que l'Italie et le Royaume-Uni sont les deux prochaines cibles d'Al-Qaïda à cause de leur présence dans la coalition, il y a une limite à la politique que l'on peut faire en contrariant tout un peuple. M. Aznar est payé pour le savoir.
Du fil à retordre.
Mais on ne changera ni M. Blair ni M. Berlusconi, qui sont ardemment convaincus du bien-fondé de leurs idées et qui, avant de disparaître de la scène politique, peuvent encore donner aux Franco-Allemands beaucoup de fil à retordre. On a beaucoup écrit que, pour M. Bush, la défaite du parti de M. Aznar est une perte incalculable. Il est vrai qu'elle sonne comme le glas du bushisme. Mais c'est aux Etats-Unis eux-mêmes que le président des Etats-Unis va devoir, dans l'immédiat, livrer un combat extrêmement dur contre le candidat démocrate à la présidence.
D'une certaine manière, le triomphe de M. Zapatero le fait apparaître comme l'homme d'Etat le plus solide du camp occidental, même s'il doit sa victoire à la tragédie du 11 mars. Autour de lui, il n'y a que des dirigeants qui ne sont pas dans la meilleure forme, Bush compris. A tous les leaders européens, comme au président des Etats-Unis, se pose aujourd'hui une question à la fois simple et terrible : celle de leur survie à court ou à moyen terme. M. Bush est le plus exposé.
Ce n'est donc pas d'un soudain élan européen que naîtra un mouvement de l'histoire, mais des élections de novembre prochain aux Etats-Unis. Si John Kerry est élu, il va manquer au ciment européen un ingrédient bien commode : l'antiaméricanisme. M. Kerry, en effet, s'efforcerait de liquider le conflit irakien au meilleur coût et de rapatrier ses troupes : il ne risque donc pas de s'opposer au gouvernement espagnol, qui entend exactement faire la même chose ; M. Kerry a déjà justifié en grande partie l'attitude de M. Chirac et de M. Schröder en critiquant avec virulence (et non sans raison) l'indescriptible gestion de l'Irak par l'actuelle administration américaine ; M. Kerry, s'il mettait fin à la désastreuse parenthèse irakienne, ôterait l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de M. Blair et redeviendrait, ipso facto, l'indispensable allié de l'Europe que son pays a toujours été.
En définitive, interpréter la défaite de M. Aznar comme un événement d'importance historique, c'est non seulement exalter le pouvoir du terrorisme international, mais c'est voir le monde par le petit bout de la lorgnette. S'il faut quitter l'Irak, ce n'est pas sous l'emprise de la peur ; si l'Europe doit s'unir, ce n'est pas sous l'effet du terrorisme ; et si tout peut changer, ce sera uniquement parce que M. Bush perdrait les élections.
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