L'Union européenne (UE) avait-elle besoin d'une Constitution qui ne lui a pas manqué pendant quarante-six ans ? La réponse est oui, et pour une simple raison : de la Communauté économique européenne à l'UE, le nombre de membres est passé de six à vingt-cinq.
On ne peut pas gouverner 25 nations et pas loin de cinq cents millions d'individus sans avoir adopté au préalable les règles strictes qui régissent leurs rapports. C'est à partir de cette observation de bon sens qu'à été conçu et réalisé le projet de Constitution européenne.
Il a été adopté dans ses grandes lignes par les gouvernements des Quinze et peut encore être amendé avant d'entrer en vigueur. Il est contesté par quelques-uns des dix nouveaux venus, qui craignent d'être dominés par leurs aînés, d'autant que, lors de la crise irakienne, Jacques Chirac ne les a guère rassurés sur ce point. Enfin, il déclenche au sein de la gauche, et plus particulièrement du Parti socialiste, une crise sérieuse qui fait apparaître trois mouvements : les oui, les non et les pas sûrs.
La leçon du 21 avril
Qu'est-ce qui peut chagriner les socialistes ? Pas que le maître d'uvre ait été Valéry Giscard d'Estaing, puisque l'ancien président de la République s'est entouré de plus de cent personnes venant de tous les bords. Et d'ailleurs, les socialistes qui ont participé à l'élaboration de la Convention, logiques avec eux-mêmes, l'approuvent évidemment.
En revanche, beaucoup de membres du PS, qui n'en finissent pas de tirer la leçon du 21 avril, estiment que la Constitution renforce l'économie de marché au détriment des progrès sociaux. Faux, répondent les défenseurs du texte. La vocation sociale de l'Europe est inscrite noir sur blanc. Bien entendu, si des représentants du PS veulent faire de la Constitution une charte des acquis sociaux, le texte ne répond pas à leurs vux pour la bonne raison que ce n'est pas sa vocation.
L'obsession de la défaite de la gauche aux élections générales de 2002 dicte aujourd'hui la pensée de presque tous les socialistes, y compris d'hommes tels que Laurent Fabius qui ne sait plus quoi faire pour donner des gages à la gauche de la gauche et a menacé de voter non au référendum sur la Constitution.
Le raisonnement au PS est le suivant : si nous avons perdu l'élection présidentielle, c'est à cause de l'extrême gauche qui nous a pris un nombre considérable de voix. Cela signifie que notre politique socio-économique n'a pas profité à notre électorat. Comment expliquent-ils alors que les électeurs, après avoir élu Jacques Chirac, lui aient donné une large majorité ? En réalité, l'aile gauche du parti souhaite balayer François Hollande, ce Grand intendant du compromis, et faire basculer le PS en dehors de la social-démocratie ; le projet consisterait à créer une nouvelle force qui absorberait les courants extrémistes. Cela ferait-il un parti, cela permettrait-il de gagner les prochaines élections ? Le pari, en tout cas, est extrêmement dangereux : il pourrait marginaliser durablement le PS, dont la gauche, en définitive, est moins intéressée par la Constitution européenne que par un virage idéologique et historique.
Mauvais calcul : personne ne sait vraiment pourquoi l'électorat a boudé Lionel Jospin. Mais tout le monde convient que le scrutin du premier tour de la présidentielle a été celui du ras-le-bol général, de la provocation, du caprice. Effrayés par leur propre audace, qui a placé Le Pen au deuxième tour, les Français, très vite, ont décidé de mettre de l'ordre dans le pays qu'ils venaient de secouer. Ils ont consacré Chirac par respect pour la démocratie et après, ils ont souhaité lui donner les moyens de gouverner.
Rien de révolutionnaire dans tout cela. Et si le PS se recompose sur la base d'une mauvaise analyse, il perdra encore des voix et subira lentement le sort du PC. La preuve en est fournie par cette flopée de sondages qui, tous, montrent la chute de popularité du gouvernement, du Premier ministre et, dans une moindre mesure, du président de la République, mais n'accordent aucun crédit à l'opposition pour redresser le pays. Cela devrait faire réfléchir Laurent Fabius, soudainement devenu le gaucho-populiste qui fait de la moto dans la France profonde et boude la Constitution européenne. A ce jeu-là, il ne sera jamais aussi bon que Henri Emmanuelli. La critique marxiste de la gestion gouvernementale a son langage, son agressivité particulière, le ton de la dénonciation qui sont inimitables. Arlette Laguiller en fournit une parfaite caricature. Le « niet » aussi est un métier.
Ajoutons à cela que le PS aura raté un coche si le oui l'emporte après que les socialistes auront voté non.
Foire d'empoigne
Mais peu importe. L'Union peut-elle se passer de la Constitution ? Sûrement. Peut-elle attendre qu'un autre texte acceptable par consensus ? A n'en pas douter. Le seul vrai problème, c'est l'élargissement de l'Europe. A quinze, l'UE était déjà très difficile à gérer. A 25, ce sera la foire d'empoigne. La Constitution est le seul moyen de mettre un peu d'ordre dans la procédure de décision. Mais il eût été plus sage de se demander d'abord si l'élargissement n'aurait pas dû être différé. C'est une Europe économiquement très affaiblie qui va passer de 15 à 25. Or la crise, ou ses dernières séquelles, va accroître les frictions entre les anciens, qui n'ont plus les moyens de leur générosité et les nouveaux, qui estiment avoir beaucoup de droits, ne serait-ce que parce que nos propres difficultés sont dérisoires quand on les compare aux leurs.
Un déséquilibre va donc s'instaurer. Il était inévitable et on ne fera pas l'injure aux dirigeants des Quize de dire qu'ils l'ont ignoré. Ils savaient, ils savent et ils ont pris le pari comme ils l'ont fait avec l'intégration de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce, de hisser les nouveaux Dix au niveau des Quinze. Vaste projet qui a été conçu avant la crise et sera réalisé en période de convalescence.
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