LA CONSTRUCTION européenne est une si vaste entreprise qu'on ne saurait la juger en fonction d'un modèle idéologique simple. L'élargissement à 25, par exemple, peut être considéré comme une formidable avancée ; mais le plus tempéré des réalismes nous incite à croire que cette multiplicité d'Etats va rendre plus difficiles encore les décisions de l'Union.
Comme tout est compliqué, les doutes relatifs à l'élargissement devraient, en bonne logique, inciter à refuser l'adhésion de la Turquie. De même que l'enthousiasme lié à l'Europe des 25 devrait faciliter à terme l'inclusion de la Turquie. Ce n'est pas notre point de vue : avant d'élargir, il fallait renforcer et approfondir l'Union à quinze. On aurait différé d'une décennie l'élargissement ou accepté seulement l'adhésion immédiate de quelques pays comme la Tchécoslovaquie et la Pologne, que les Etats baltes, Malte ou Chypre n'en auraient pas extrêmement souffert.
LES DOUTES EXISTENTIELS SONT LA TOXINE DE L'UNION EUROPÉENNE
Plus d'Europe, moins d'Europe.
Quant à la Turquie, une adhésion envisagée pour 2020, par exemple, permettrait à la fois de soulever un espoir durable chez les Turcs, de les éloigner de tout fondamentalisme, de renforcer leur démocratie sans pour autant porter atteinte aux fondamentaux européens.
Plus d'Europe, moins d'Europe, laissons faire le temps, d'autant que l'élargissement à 25 a été conduit à marche forcée. Et voyons d'abord si cette Europe qui court plus vite que l'Histoire n'est pas exposée à quelques dangers.
Le premier a trait à une hypothèse qui ne semble plus totalement improbable : la non-ratification par les Etats membres. Quand des Européens convaincus, comme Laurent Fabius, se dressent contre la Constitution européenne, la cérémonie de Rome paraît moins « historique » qu'on a bien voulu nous dire. Et alors que le président Chirac caracole sur ce succès diplomatique, il ne peut pas assurer ses plus proches partenaires que la France votera oui. Voilà qui affaiblit sa position au sein de l'aréopage européen.
La contestation.
De la même manière, la fronde sans précédent du nouveau Parlement européen contre la composition de la Commission, toute démocratique qu'elle soit, va donner des ailes à cet immense cénacle où la contestation risque rapidement de prendre le pas sur l'accomplissement.
Il ne faudrait pas que, sous l'habillage de l'expression de la volonté des 25 peuples, Strasbourg se transforme en volière. En lisant « le Monde », on s'aperçoit que le Front national, antieuropéen par essence et par vocation, s'apprêtait à tourner casaque et à apporter au président de la Commission, José Manuel Durao Barroso, les voix qui lui manquaient pour faire élire la Commission, dans sa composition désormais abandonnée ; et que c'est Jacques Chirac qui a téléphoné à M. Barroso pour qu'il ne tombe pas dans le piège.
Après la signature, notre président a demandé aux parlementaires, aux gouvernements et au président de la Commission de « prendre leurs responsabilités ». Façon de dire que tout le monde a tort dans cette affaire, mais c'est trop simple. Ce n'est pas M. Barroso qui était visé par les élus, c'étaient les gouvernements qui avaient désigné leurs commissaires. On a donc retrouvé, à Strasbourg, l'alliance gauche-UDF qui fait merveille au Palais-Bourbon, à la différence près qu'elle pèse plus lourd à Strasbourg qu'à Paris. Et lorsque Jean-Marie Cavada, ancien journaliste reconverti à la politique sous les couleurs de l'UDF, parle de « triomphe de la démocratie », il ne semble pas s'inquiéter de ce qui pourrait arriver si le Parlement européen, de plus en plus conscient de l'importance de son rôle, se mettait à démolir les décisions des gouvernements sans proposer d'alternative. Cela confirme en tout cas qu'à 25 l'Europe sera plus difficile à gouverner qu'à 15.
La leçon qu'il faut tirer des péripéties de la construction européenne, c'est que, effectivement, une signature solennelle et « historique » convainc davantage les peuples du continent que les interrogations angoissées d'un Laurent Fabius ou même d'un François Bayrou. Ce n'est pas du tout, comme nous l'écrivions plus haut, qu'il faille faire l'Europe à n'importe quel prix. Mais les doutes existentiels sont la toxine de l'Union. Certes, l'Europe est beaucoup plus qu'un marché unique. Heureusement quand même, le marché est là pour interdire toute régression.
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