L'Europe doit se ressaisir

Publié le 01/12/2003
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Pourquoi l'Europe à 25 a-t-elle besoin d'une Constitution ? Parce que son élargissement compliquera encore plus un fonctionnement des institutions européennes déjà mises à mal par bon nombre d'écarts : ceux de la France et de l'Allemagne qui ne se sont pas pliées à un Pacte de stabilité qu'elles ont pourtant conçu et porté sur les fonts baptismaux ; ceux de la Commission de Bruxelles qui tentent d'exercer plus de pouvoir qu'elle n'en a en réalité, ceux des dix nouveaux venus dont le bonheur d'accéder à l'Union n'a parfois d'égal que le nombre de leurs revendications.

Dans un article encore une fois remarquable qu'il publie dans « le Monde », Michel Rocard, lance une sorte d'hymne à la joie : il s'attache beaucoup plus, il est vrai, à ce que les Européens ont accompli au sein de l'Union, qu'aux dossiers en panne ou au manque de vision politique des dirigeants européens actuels. Mais, dit-il en substance, voilà 25 pays d'Europe qui jurent solennellement qu'ils ne se feront plus jamais la guerre. Et c'est déjà formidable.

Un exécutif fort

Rocard a raison. Il demeure que ce rassemblement de plus de 400 millions d'Européens qui, contrairement aux Américains, n'ont pas de langue commune, d'institutions fédérales et, souvent encore, pas de monnaie commune, doit être ordonné, serein, prêt à de très nombreux compromis. Comment faire autrement dès lors que l'on met dans le même sac des Slovènes et des Baltes, des Portugais et des Tchèques ? L'Europe a besoin d'un pouvoir exécutif fort si elle ne veut pas être le lieu géométrique de toutes les discordances et de toutes les dissonances.
Ce n'est pas simple. Le soupçon nourri par les plus petits contre les plus grands est confirmé par le comportement des seconds : c'est l'Espagne qui dégage des excédents budgétaires, ce sont l'Allemagne et la France qui présentent d'énormes déficits dont elles s'arrogent le droit de les négliger. Mais alors, pourquoi la Pologne, qui n'est pas riche, et la Lituanie ou l'Estonie qui le sont encore moins, seraient-ils contraints par le Pacte de stabilité ? Pourquoi se plieraient-ils à une discipline que Paris et Berlin ne respectent pas ?
Ces saines critiques n'empêchent pas les fondateurs historiques du Marché commun, puis de l'Union européenne, d'abord d'avoir un droit d'aînesse, ensuite de rassembler des forces économiques non seulement impressionnantes, mais capables de sortir de l'ornière les nouveaux arrivants, comme ils l'ont fait jadis pour l'Espagne, le Portugal et la Grèce. Grâce à l'Europe, on a assisté à une contamination heureuse de la prospérité. Eh bien, cela donne un droit supplémentaire aux six pays du Marché commun. En outre, ce seront ceux-là qui créeront la force d'intervention rapide ; ce sont ceux-là qui ont l'expérience européenne la plus longue ; ce sont ceux-là qui doivent faire entendre leur voix dans l'avenir immédiat.

L'hégémonie des « grands »

La Constitution, telle qu'elle a été rédigée par le groupe de Valéry Giscard d'Estaing est-elle juste, est-elle viable, et résistera-t-elle à l'épreuve du temps ? Tout ce que l'on peut dire, c'est que l'ancien président de la République était entouré d'une centaine de personnes triées sur le volet. A propos d'un texte aussi important, on trouvera toujours des raisons, parfois bonnes, parfois partiales, pour le critiquer ; mais si, à l'usage, la Constitution fonctionne, c'est-à-dire qu'elle réglera le jeu européen de manière à ce qu'il soit harmonieux plutôt que hargneux, on sera content de l'avoir.
Faut-il que se perpétue la différence entre fondateurs et adhérents ultérieurs, pays puissants et pays de petite taille ? Des pays comme la Slovénie (qui n'est d'ailleurs pas du tout rebelle) ne peuvent pas, avec deux millions de citoyens, imposer leur volonté au reste de l'Europe.
L'hégémonie des « grands » pays nous semble donc inévitable. Mais elle peut être encadrée par des dispositions qui en limiteraient l'effet et permettraient aux « petits » de sauvegarder leurs intérêts.
Au fond, l'Europe aura accompli un progrès réel quand les décisions prises à son niveau auront la primauté sur les intérêts nationaux. La France et l'Allemagne viennent à peine de donner l'exemple inverse. Elles ont ignoré le Pacte de stabilité et les critères de Maastricht après les avoir imposés aux autres Etats membres, qui se sont montrés plus disciplinés que leurs deux chefs de file. Certes, c'est merveilleux de savoir que les 25 n'entreront jamais en conflit. Mais l'Europe mérite encore mieux, elle doit avoir des ambitions confédérales (ou même fédérales) qui impliquent automatiquement des abandons de souveraineté. Ceux qui ne veulent pas ou ne savent pas résister à leurs réflexes nationaux sapent le projet européen.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7437