Dans « le Monde », l'économiste Daniel Cohen reprend à son compte la question provocatrice posée par le correspondant du journal à Bruxelles : qui osera dire non à l'élargissement de l'Union européenne ?
Et voilà enfin un tabou levé : la même question nous brûlait les lèvres. M. Cohen explique que plus l'Europe s'élargit, moins elle est en mesure de prendre des décisions. En passant de six à quinze pays en moins de quarante ans, et en envisageant de passer à vingt-sept, elle se transforme en foire d'empoigne.
Non seulement la multiplicité des Etats membres, tous pourvus d'un haut degré de souveraineté, constitue un facteur de désordre et de chamailleries incessantes, les plus petits étant très sourcilleux quant au fonctionnement démocratique des institutions européennes ; mais la disparité entre les économies déjà intégrées et celles qui arrivent est telle que l'Union court le risque d'être celle du dénominateur commun le plus bas possible.
Or, par manque d'intégration politique, l'Union n'est pas gouvernée. C'est un forum où les droits du Luxembourg ne sont pas moins respectables que ceux de la France, et ce n'est que justice. Chaque gouvernement a déjà bien du mal à régler ses propres problèmes économiques et sociaux. Comment croire qu'un organisme unique va décider du sort de 500 millions de personnes dont les niveaux de vie moyens iront de un à dix ?
Existe-t-il une politique européenne capable d'apporter une contribution à la solution des dossiers « chauds » du monde ? Existe-t-il une politique européenne contre le ralentissement économique ? Au lendemain du 11 septembre, les Etats-Unis ont pris, en quelques jours, parfois en quelques heures, d'énormes décisions financières, baisse drastique des taux d'intérêt, aide colossale à New York et aux compagnies aériennes, injection de capitaux dans l'économie, révision complète des dispositions budgétaires. Tout ce qu'on fait en Europe, c'est, comme d'habitude, d'attendre que la croissance américaine reprenne.
Voilà de quoi souffre l'euro. Le 11 septembre, il a semblé profiter de la baisse du dollar. Mais cela n'a pas duré une semaine. Si des attentats aussi graves, si la récession de l'économie américaine n'ont pas eu raison du dollar qui, aujourd'hui, vaut encore 7,40 F, qu'est-ce qui peut nous faire croire que l'euro remontera un jour à son taux initial, soit 1,17 dollar ?
On n'ose imaginer ce que va devenir un Parlement européen où seront représentés vingt-sept peuples, tous avec des aspirations et des appétits parfois différents, parfois contradictoires. Il semblerait que l'Union européenne, loin de vouloir se constituer en grande puissance avec une défense, une monnaie, une politique communes, et qui deviendrait la deuxième superpuissance mondiale, n'a pour ambition que de devenir la grenouille qui se veut plus grosse que le bœuf. La contribution européenne à l'extraordinaire opération des Américains en Afghanistan est nulle ou dérisoire ; nous sommes paralysés par une crise qui atteint les trois grandes zones économiques mondiales, l'Amérique, le Japon et l'Europe ; et au moment où les Européens ne peuvent attendre de salut que d'eux-mêmes, ils ne disposent pas des outils politiques nécessaires à une relance de leurs économies.
Si l'Europe comptait dans les élections générales de l'an prochain, ni Chirac ni Jospin n'auraient la moindre chance. Quelques années ont été perdues dans les bisbilles de la cohabitation et dans un projet aveugle, l'élargissement, qui créera infiniment plus de problèmes qu'il n'en résoudra.
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