De notre envoyée spéciale
à San Francisco
L' IMATINIB (Glivec) a fait figure de vedette au 37e Congrès de l'ASCO, pour au moins trois raisons. Son efficacité obtenue dans les leucémies myéloïdes chroniques (LMC) d'abord, qui a conduit à une mise sur le marché aux Etats-Unis par une procédure accélérée (dite de Fast Track). Ensuite, le produit introduit en cancérologie un renouveau conceptuel, celui des agents ciblant et bloquant spécifiquement un défaut génétique à l'origine de la cancérisation, avec l'avantage considérable d'une meilleure épargne des cellules saines que les traitements habituels dans la spécialité. La troisième raison étant, en corollaire, la tolérance du produit, inégalée en chimiothérapie et appréciable dans le domaine de la LMC.
Glivec a obtenu, la veille de l'ouverture du congrès de l'ASCO, une AMM aux Etats-Unis (sous la dénomination de Gleevec) dans les trois phases de la LMC : phase chronique après échec de l'interféron alpha, phase d'accélération et crise blastique.
Une demande d'enregistrement a été effectuée simultanément aux Etats-Unis et auprès des autorités européennes pour les mêmes indications. La FDA a approuvé le produit en dix mois (ce qui est sans précédent en cancérologie). Les délais d'obtention seront plus longs au niveau européen. En attendant, les patients peuvent recevoir le traitement dans le cadre d'un « programme d'accès élargi » (Expanded Access Program), qui est commun à un ensemble de pays, explique le Dr Patrice Berthaud, responsable de la recherche clinique chez Novartis où le produit a été développé. Le traitement est donné dans le cadre d'une étude clinique mise sur pied pour avoir un support réglementaire, dans les indications données par la FDA. Et le produit est fourni par le laboratoire. Environ 8 000 malades y ont déjà eu accès.
Des délais exceptionnellement courts
Entre l'introduction du premier patient dans une étude de phase I et le dépôt de demande d'AMM dans les LMC, un délai de trente-deux mois, exceptionnellement court, s'est écoulé (les ordres de grandeurs sont plutôt aux alentours de cinq à sept ans). Très vite, les malades ont fait savoir, dans la communauté des LMC, qu'il existait un produit à prise orale qui pouvait transformer leur existence en soutenant une comparaison avantageuse avec l'interféron (assorti d'effets secondaires gênants et d'une voie d'administration sous-cutanée). La LMC, dont la prévalence est de 1 à 2 cas pour 100 000 personnes dans la population générale, est considérée comme une maladie orpheline.
Il y a une explication à ce raccourcissement des délais : les chercheurs se sont trouvés dans un concept particulier. En 1960 a été identifiée une anomalie biologique à l'origine de la LMC, sous la forme du chromosome Philadelphie, la translocation 9-22, détectée chez 95 % des patients. En conséquence du rapprochement chromosomique, la formation d'une protéine de fusion anormale, « bcr-abl » (bcr sur le chromosome 9 et abl sur le 22), qui exerce une activité tyrosine-kinase en continu (ce qui fut compris au début des années quatre-vingt-dix, car longtemps le chromosome Philadelphie était considéré comme un simple marqueur). Les tyrosine-kinases normales, enzymes situées en intracellulaire, intervenant dans la reproduction et la croissance cellulaires (par transfert des radicaux phosphorés sur leur substrat), mais agissant par périodicité « on-off », on comprend la production massive de leucocytes en conséquence de l'anomalie.
Inhibiteur de la transduction du signal
Et l'imatinib, défini comme un inhibiteur de la transduction du signal, a été mis au point pour cibler son activité sur les tyrosine-kinases (« Targeted Therapy »). Avec une grande spécificité vis-à-vis de bcr-abl, d'où les résultats très vite constatés dans la LMC.
Un autre avantage du produit tient dans la prise orale de ce dernier.
Le recul reste très court néanmoins, pondère le Dr Berthaud, et le produit n'est pas complètement dénué de toxicité, même si elle est bien moindre que celle de l'interféron. Les travaux continuent donc. Parmi eux, une étude en première intention, comparant l'imatinib à ce qui est reconnu comme un traitement optimal des malades en phase chronique, juste après le diagnostic.
Par ailleurs, au cours du développement, on a constaté que l'imatinib cible également d'autres tyrosine-kinases, avec une efficacité in vitro. Notamment la protéine KIT, une tyrosine-kinase de structure voisine de bcr-abl. Des résultats ont été enregistrés dans des tumeurs du tissu conjonctif digestif (GIST pour Gastro-Intestinal Stromal Tumor). Le PDG-F (Platelet Derived Growth Factor) en est une autre. De petites études pilotes ont été engagées récemment par Novartis dans des tumeurs solides exprimant ces molécules (glioblastome, cancer de la prostate, du rein) pour, dans un premier temps, valider le concept. Mais il faut savoir que les mécanismes de la cancérisation sont, dans ces cas, moins bien décryptés que dans la LMC.
37e Congrès de l'ASCO. Réunion organisée par Novartis Pharma et la Wayne State University (Detroit), réunissant les Prs Charles Schiffer (Detroit), James Griffin (Boston), Hagop Kantarjian (Houston), George Demetri (Boston) et Daniel George (Boston). Entretien avec le Dr Patrice Berthaud, responsable de la recherche clinique chez Novartis.
Les résultats hématologiques et cytogénétiques
La décision de la FDA d'accorder une AMM à Glivec dans la LMC s'appuie sur les résultats des études de phase II (coopératives et multicentriques, incluant la France), conduites chez des patients positifs pour le chromosome Philadelphie (Ph+) ; 532 patients ont été traités en phase chronique tardive après échec de l'interféron et ont reçu Glivec pendant une médiane de quatorze mois (dose de départ de 400 mg, pouvant être portée à 600 mg). Les résultats montrent un taux de 88 % de réponses hématologiques complètes et de 49 % de réponses cytogénétiques majeures (moins de 35 % de métaphases Ph+ à la ponction de moelle), dont 27 % sont complètes ; 97 % des patients sont vivants après un an de traitement.
Deux cent vingt-trois personnes en phase accélérée ont participé à l'étude, montrant un taux de réponses hématologiques complètes de 63 %, avec 41 % de réponses cytogénétiques majeures, dont 14 % complètes. Quant à la crise blastique, beaucoup plus difficile à traiter, les 260 patients inclus ont pu bénéficier de 48 % de réponses hématologiques à quatre semaines et 47 % à huit semaines.
En ce qui concerne la tolérance, le traitement a été interrompu en raison d'effets secondaires chez 1 % des patients en phase chronique, 2 % en phase accélérée et 5 % dans la crise blastique. Les effets secondaires sont généralement de grade léger à modéré (nausées, dèmes périorbitaires, crampes musculaires, diarrhées). La qualité de vie est indiscutablement préservée.
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