D EPUIS 1988, plusieurs études ont suggéré que les leucémies de l'enfant sont provoquées par un agent infectieux. Une nouvelle étude publiée aujourd'hui dans le « Lancet » va dans ce sens.
De quoi s'agit-il ?
Reportons-nous en 1940, à Orkney et Shetland, les deux îles situées le plus au nord du Royaume-Uni. Cette année-là, l'armée allemande ayant envahi la Norvège, il s'agit pour les Britanniques de se prémunir d'une invasion par le nord. L'armée est donc envoyée à Orkney et à Shetland. Les îliens voient ainsi débarquer 60 000 militaires. Et c'est sans compter 40 000 personnels navals stationnés à quai à Scapa Flow (le port principal d'Orkney), 3 700 ouvriers du bâtiments (à Orkney) venus en majorité d'Irlande, 1 200 prisonniers italiens, amenés en renfort de construction, et, enfin, 2 000 réfugiés norvégiens. On l'imagine aisément la population locale (43 500 personnes en 1931 et 40 600 en 1951) est largement dépassée en nombre.
Il y a de nombreux contacts entre les « locaux » et les militaires, ces derniers achetant des produits du terroirs et les ruraux travaillant dans les camps de l'armée.
En deux mots, il existe une mixité inhabituelle entre deux populations, l'une rurale et l'autre urbaine, avec contacts accrus entre individus « susceptibles » (les ruraux) et individus potentiellement « infectés » (les urbains). Or, les travaux de Kinlen (« Br J Cancer », 1995 ; 71 : 1-5) ont suggéré qu'une mixité de populations rurale et urbaine est associée à une augmentation du nombre des leucémies chez l'enfant. Il était intéressant de voir si tel a été effectivement le cas à Orkney et Shetland.
Kinlen et Balkwill (Oxford) se sont donc penchés sur le problème en étudiant deux cohortes d'enfants : ceux du temps de guerre et ceux de l'après-guerre.
La cohorte du temps de guerre était constituée de 8 574 enfant de 0 à 14 ans vivant à Orkney ou à Shetland au 1er janvier 1941, et de 3 690 enfants nés là-bas entre 1941 et 1945. La cohorte de l'après-guerre était constituée de 6 478 enfants nés dans ces îles entre 1946 et 1955. Des détails ont été obtenus sur les décès et l'émigration de ces enfants pour chaque tranche d'âge : 0-4 ans, 5-9 ans et 10-14 ans. Les cohortes ont été suivies jusqu'en 1960 pour celle du temps de guerre et 1970 pour celle de l'après-guerre.
Il est apparu que, dans le groupe du temps de guerre, il s'est produit une multiplication par 3,6 du nombre de leucémies (9 décès au lieu des 2,5 attendus), à la fois dans le groupe des 0-4 ans (3,1 fois plus) et dans celui des 5-14 ans (3 fois plus) ; seuls 3 des 9 cas sont survenus dans la tranche habituelle du pic des leucémies (2-6 ans). En revanche, dans la cohorte de l'après-guerre, on n'a pas observé d'augmentation du risque de leucémie (3 décès pour 2,8 attendus).
Cause infectieuse sous-jacente
Ces différences ne peuvent pas être expliquée par des biais diagnostiques, font remarquer les auteurs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des médecins ont été recrutés dans les forces armées, au détriment des civils. Or, les diagnostics de leucémies sont généralement moins nombreux en cas de pénurie de médecin.
« Les résultats positifs de notre étude de cohorte s'ajoutent aux arguments accumulés depuis 1998 en faveur d'une cause infectieuse sous-jacente aux leucémies de l'enfant, mais l'agent ou les agents reste(nt) à identifier », concluent les auteurs.
« Lancet » du 17 mars 2001, p. 858 (lettre).
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