A la demande du comité économique des produits de santé (CEPS), le département de pharmacologie de l'université de Bordeaux-II mène actuellement sous la direction du Pr Nicholas Moore (voir ci dessous) une étude post-AMM de pharmaco-vigilance sur deux anti-inflammatoires non stéroïdiens, les anti-COX 2, le Celebrex (laboratoire Pharmacia-Pfizer) et le Vioxx (laboratoire MSD).
Baptisée CADEUS, cette étude doit permettre de « connaître la population des utilisateurs de ces deux produits, ainsi que les motifs et les conditions de traitement », indique-t-on au CEPS. Noël Renaudin, président du CEPS, ajoute pour sa part que « le CEPS a octroyé aux laboratoires concernés le remboursement par les caisses au prix demandé par les industriels, à la condition que ceux-ci participent financièrement à une étude sur la population des utilisateurs de ces produits, car certaines questions restaient sans réponse ».
C'est ainsi qu'a commencé au début de septembre 2003 cette étude dont le Pr Nicholas Moore indique qu'elle « est la première de son genre en France ».
Pour la mettre en œuvre, deux conventions ont été signées. La première entre la CNAM, la DGS (direction générale de la Santé) et l'université de Bordeaux, qui détermine la nature, le but et la méthodologie de l'étude, la seconde entre les deux laboratoires intéressés (MSD et Pharmacia-Pfizer) et l'université de Bordeaux, et qui concerne son financement. Aux termes de ces conventions, les laboratoires prennent en charge le coût de l'analyse des données, la CNAM étant chargée de les sélectionner. Car, et c'est là que certains s'émeuvent et que le bât blesse, l'étude utilise les bases de données de la CNAM, à savoir les prescriptions présentées au remboursement et comportant l'un ou l'autre des produits de l'étude.
Selon le Pr Moore, « la CNAM tire au sort mensuellement un échantillon représentatif de ces prescriptions, et transmet au département de pharmacologie de la faculté de Bordeaux le nom et l'adresse des médecins prescripteurs et de leurs patients ; ce n'est qu'après accord écrit du patient que d'autres données, concernant en particulier les coprescriptions provenant de la base de données de la CNAM, sont transmises à Bordeaux. Sans accord du patient, toutes les données sont détruites ».
Le département pharmacologie de la faculté de Bordeaux a donc, depuis le début du mois de septembre, expédié 40 000 courriers par mois (400 000 sont prévus sur un an), une moitié aux médecins prescripteurs et l'autre moitié aux patients, demandant aux uns et aux autres leur accord, d'une part, pour recevoir d'autres informations de la CNAM les concernant, et, d'autre part, pour répondre à des questions sur l'utilisation de ces médicaments et de leur éventuel impact sur leur santé. A la réception de ces courriers, un certain nombre de médecins se sont émus : « Il est étonnant que deux laboratoires pharmaceutiques sponsorisent cette étude fort coûteuse sans contrepartie », indique un médecin de l'est de la France, tandis qu'un de ses confrères de l'ouest annonce : « La CNAM a probablement vendu son fichier de patients et de prescripteurs sans l'autorisation ni des uns ni des autres ; de toute évidence, il y a rupture grave du secret professionnel. » Ajoutons à cela que le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) s'est penché sur ce dossier pour déterminer dans quelles conditions la faculté de Bordeaux avait pu se procurer la base de données de la CNAM, et tous les ingrédients sont réunis pour un de ces psychodrames sur la protection des données et de la vie privée dont les Français sont si friands.
Une enquête de santé publique et non pas de police
Pour autant, la réalité semble tout autre. Tout d'abord, la CNAM ne vend pas ses bases de données : « Bien entendu, la CNAM n'a pas vendu et ne vendra jamais aucune information relative aux patients ou aux prescripteurs, et de plus, d'un point de vue juridique et sécuritaire, toutes les précautions ont été prises », indique-t-on à la direction de la Caisse nationale. A la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), on ajoute qu'après une étude approfondie un avis favorable a été donné en mai dernier à l'étude CADEUS : « Quand ils travaillent sur les données médicales fournies selon le cahier des charges mis en place, les chercheurs de la faculté de Bordeaux ne peuvent plus les associer aux noms des patients ou de leurs médecins. » Au comité économique des produits de santé, Noël Renaudin est également très clair : « Les deux laboratoires paient l'essentiel de l'étude car c'est la condition que nous avions fixée pour accepter leur demande de prix ; de plus, il ne s'agit absolument pas d'une enquête de police, mais de santé publique, et la procédure mise en place est telle que l'anonymat des personnes qui acceptent de participer à l'étude est totalement garanti. »
Enfin, contacté par « le Quotidien », le Dr Michel Ducloux, président du CNOM, relativise l'intervention de son institution : « On a dit que nous avions ouvert une enquête, ce n'est pas le cas. On a simplement cherché à comprendre comment s'articule toute l'opération. Je crois qu'il s'agit avant tout d'un malentendu ; car le Pr Nicholas Moore nous a garanti que l'anonymat serait totalement respecté. Comme, de plus, la CNIL a donné son aval et que l'accord de chaque patient et médecin est nécessaire, je crois qu'il ne faut pas dramatiser, même s'il faut rester vigilant dès qu'on risque de toucher au secret médical. »
Conclusion du Pr Moore : « Peut-être y a-t-il eu un déficit d'explications de notre part ; nous projetions une conférence de presse sur ce sujet au début de septembre avec Lucien Abenhaïm, à l'époque directeur général de la Santé, et puis vous savez ce qui s'est passé... » Le recueil des données de l'enquête se poursuivra jusqu'au mois de septembre 2004, et l'étude devrait être achevée vers le printemps 2005. Elle sera alors rendue publique.
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