Lettre ouverte d’un médecin de campagne à Mme la Ministre de la Santé et aux Préfets de la République,

Publié le 25/09/2009
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Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les Préfets de la République,

Je ne suis pas fanatique des grands élans corporatistes et loin de moi l’idée de chercher à faire pleurer dans les ministères et les préfectures. Il faut cependant que je vous dise une chose : dans nos campagnes les médecins sont malades. Dans les villes aussi probablement mais après 25 ans d’exercice rural je connais mieux la campagne. Mon diagnostic vaut ce qu’il vaut, je ne suis pas spécialiste de la santé des médecins, je ne les ai pas tous examinés personnellement mais le constat s’impose à moi, à eux, à leurs proches, à leurs patients : les médecins sont fatigués. Comment ça se fait ?

Au départ on était pourtant assez fringants, on ne comptait pas les heures, l’astreinte était quasi permanente (quoique non rémunérée pendant 20 ans, je vous le rappelle). On allait pisser avec le téléphone à la main, on n’aurait pas imaginé faillir à la permanence des soins une seule minute. On s’organisait entre nous, toujours au moins un médecin dans le canton, pour la ville, pour l’hôpital local. Toujours disponibles, prêts à partir, à laisser la salle d’attente pleine pour aller poser une perfusion au fond d’un fossé. On fonctionnait « à l’ancienne » avec les valeurs qu’on nous avait enseignées: déontologie, sens du devoir (mais oui), âme et conscience, confraternité (malgré la mésentente cordiale qui règne souvent entre médecins) et je ne parle pas de sacerdoce.

A l’époque on pouvait quand même souffler de temps en temps, on trouvait encore des remplaçants. Pas encore effrayés par les contraintes qui allaient s’accumuler les unes après les autres : l’envahissement de la paperasserie, l’informatisation chacun pour soi (à ce propos on n’ entend plus parler du DMP opérationnel en 2007 ?), les recommandations, les encadrements divers et variés, les parcours de soins, les référents, les CAPI, les codages, le PMSI, la T2A, le PATHOS et j’en passe. Derrière ces contraintes, en filigrane, un message aux médecins, toujours le même : « nous n’avons pas confiance en vous, ni dans votre façon de dépenser l’argent public, ni dans celle de vous former, de vous informer, ni même dans vos compétences ». L’exercice de la médecine avait fini d’être un art, on allait se faire « encadrer ».

Parallèlement quelques cerveaux bien pensants ont eu cette idée géniale : si les soins coûtent trop cher c’est parce qu’il y a trop de médecins. « Moins de médecins, moins de malades, on va fermer le robinet et le tour est joué ». On a donc formé moins de médecins. Cela n’a pas amélioré les comptes, d’autant que contrairement aux géniales prévisions le nombre de malades ne baissait pas ! Moins de médecins c’était moins de remplaçants, moins de successeurs. Ceux-ci sont devenus rares (et chers) et ont commencé à décider de nos agendas. Petit à petit les médecins ont fermé leurs cabinets – pour les congés ou définitivement- sans remplaçants ni successeurs. La permanence des soins en a pris un coup. Il a fallu commencer à gérer la pénurie, notamment en déchargeant l’urgence sur le 15 ce qui a l’effet que l’on sait sur les services de porte des hôpitaux (sans parler du surcoût, on ne compte plus les déplacements d’ambulance et de SMUR, voire d’hélicoptères, pour sauver les rhinopharyngites). On en est là.

Vous estimerez l’analyse un peu sommaire. Elle avait juste pour but de vous rappeler ce que vous savez déjà : la permanence des soins n’est plus assurée également sur le territoire, elle le sera de moins en moins. Mais dans cette affaire les médecins sont plus les victimes que les coupables. Dans les 5 ou 10 ans à venir la moitié vont s’en aller. Actuellement nous voyons bien sur le terrain que la tendance s’accélère rapidement. Logique de la boule de neige, lorsqu’un médecin part dans un secteur les restants ne peuvent plus faire face et ce sont deux ou trois qui suivent.

C’est dans ce contexte que l’on apprend qu’un projet de loi est en cours qui nous imposerait de déclarer aux autorités préfectorales la date de nos congés, et ceci deux mois avant de les prendre, ainsi que le nom du médecin susceptible de prendre en charge notre clientèle en cas de non remplacement. Ce serait le coup de grâce si l’on n’imaginait pas encore pire : l’interdiction de dévisser sa plaque (jusqu’à quel âge) dans le cas où l’on ne trouverait pas de successeur. Il faut s’y attendre.

J’ai 57 ans. Croyez bien que je serais navré d’abandonner mon cabinet (que je cède gratuitement) si je ne trouve pas de successeur. Navré de laisser 25 ans de suivi médical et autant de dossiers (informatisés, bien tenus par une secrétaire à mi-temps et moi-même) moisir dans un grenier. Navré de laisser tomber ma clientèle, la commune dont je suis conseiller municipal, l’hôpital local où j’exerce également et mes confrères restants. Mais je tenais à vous faire part de ma résolution : personne ne m’empêchera de jeter l’éponge avant le round de trop. Je me réserve donc le droit de rallier le rang des déserteurs de la médecine générale lorsque ma situation sera réellement et totalement invivable.

En espérant, Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les Préfets, que mon humble témoignage parvienne à votre connaissance je vous prie de recevoir mes respectueuses salutations,

Dr Didier Frangin

Source : Le Généraliste: 2498