Cher confrère,
Ayant eu de nombreuses occasions de lire ou d'entendre vos multiples interventions dans les différents médias, j'aimerais avoir l'opportunité de vous répondre. Je n'ai aucun doute sur votre bonne foi ni sur la véracité de votre témoignage. Mais l'extrême médiatisation dont vous bénéficiez nuit à l'objectivité du débat et à la pluralité des points de vue.
Échouer à son concours de première année de médecine malgré une moyenne à 15/20, alors que vous rêviez de ce métier depuis votre enfance, après avoir passé deux années de sacrifice total pour un concours devenu absurde, voire obsolète…
Se rendre compte ensuite que l'unique voie pour parvenir à ses fins est de faire le second sacrifice de passer six années de Médecine en Roumanie…
Je vous assure que ces jeunes ont pour la plupart beaucoup de courage et une incroyable volonté, et ce ne sont pas les quelques brebis galeuses dont vous parlez qui changeront le fait que l'écrasante majorité des jeunes Français partis étudier à 2000 km de chez eux ont au moins pour qualité intrinsèque : la ténacité !
Pourquoi avoir passé sous silence cet étudiant français de Cluj Napoca arrivé 168e à l'ECN en 2015 ? Et cette masse d'internes formés en Roumanie qui s'intègre parfaitement dans la plupart des services, avec un classement plus qu'honorable à l'ECN ?
Les mille derniers reçus au concours venaient-ils tous de Roumanie ? C'est étrange, ils ne sont qu'une centaine par an…
N'y a-t-il pas un manque criant de médecins ? La France peut-elle en éliminer certains avant même de leur donner la chance de faire leurs preuves ?
Pourquoi jeter le discrédit sur tous ces jeunes ?
Pendant que vous jetez l'opprobre sur les études médicales roumaines, le département de la Sarthe vient chercher les médecins en formation en Roumanie pour essayer de repeupler ses déserts médicaux, en échanges de confortables rémunérations. Vous n'êtes probablement pas choqué de laisser les Sarthois soignés par une horde d'incompétents !
Prétendez-vous que la formation « à la francaise » est irréprochable ?
Ne laisse-t-elle pas le moindre doute sur la compétence des futurs médecins ?
Pensez-vous que la sélection par concours en première année, et non pas sur dossier + motivation + évaluation des qualités humaines, ne serait pas plus opportune ?
Connaissez-vous – et d'ailleurs, qui les connaît ? – le nombre d'étudiants en profonde dépression après un double échec au concours de première année, voire de suicides imputables à une sélection imbécile sur du « par cœur » ?
Qu'en est-il ensuite du cursus, avec un choix de spécialité basé lui aussi sur la place obtenue à l'ECN, où là aussi toute une vie peut basculer après ce couperet ?
Dans d'autres pays européens, comme l'Allemagne, la Suisse ou la Suède, il existe des critères beaucoup plus justes et équitables pour les choix de spécialité. Cette culture de la compétition est tout simplement abjecte, laissant sur le carreau nombre de déchets de ce système impitoyable. Est-on un bon médecin parce qu'on est un bon compétiteur ?
Si je me crois autorisé à vous parler de la sorte, c'est que j'exerce modestement le métier de médecin de famille depuis bientôt trente ans, et que mon fils a malheureusement été contraint de s'exiler en Roumanie pour parvenir à son rêve tout simple d'être utile à son prochain.
L'année prochaine, il sera interne, ne vous en déplaise, et sa formation, bien que probablement imparfaite, n'a rien à envier à celle de nos externes made in France :
Cours dans des amphithéâtres d'une centaine d'étudiants, préparation de l'ECN de manière méthodique, enseignements par petits groupes au chevet du patient…
Mais les « Roumains » ne bénéficient pas des mêmes chances que leurs homologues formés en France : en même temps que la préparation à l'ECN, ils doivent préparer et rendre leur thèse, préparer leurs examens, assister à leurs cours (obligatoires) jusqu'à la date de l'ECN, alors que les Français ont deux mois de vacances et de multiples écuries pour se préparer. Enfin, pourquoi la plate-forme d'entraînement à l'ECN est-elle fermée aux étudiants à l'étranger ?
Voilà, cher confrère, pourquoi je ne peux accepter que soient jetés en pâture au public des jeunes qui ne demandent qu'à bien faire et qui par votre intervention médiatique se verront vilipendés avant même de pouvoir faire leurs preuves.
Je vous remercie d'avoir pris la peine de me lire, et vous prie de croire, cher confrère, à l'assurance de mes respectueuses salutations.
* Généraliste dans les Bouches-du-Rhône
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