C’est le cri du coeur d’une praticienne révoltée. En l’espace de quelques jours, la lettre du Dr Arielle Salon (*) à Marisol Touraine s’est propagée sur de nombreux sites et forums, relayée par des médecins opposés à l’accord conventionnel sur les dépassements d’honoraires. Dans ce texte, que « le Quotidien » publie intégralement, le chirurgien exprime son ras-le-bol vis à vis d’une administration qu’elle juge de plus en plus coercitive. Aujourd’hui, elle nous confie les raisons de cette initiative et sa colère.
LE QUOTIDIEN. Dans votre lettre à Marisol Touraine, vous interpellez la ministre à la seconde personne du singulier. Vous dites la connaître depuis l'âge de dix-huit ans. Qu’entendez-vous par là ?
ARIELLE SALON. Je la connais pour avoir côtoyé son frère pendant toutes mes études de médecine, de la première année de médecine à l’internat, où nous étions de grands copains. Le reste relève du privé.
Dans quel esprit avez-vous écrit ce texte ?
C’est un cri de colère. J’ai la rage, j’ai la boule au ventre depuis un mois. Nous tous, chirurgiens libéraux à Paris, nous avons la rage. Depuis plusieurs années, nous devons faire face à toujours plus de contrôles, de tracasseries administratives, de paperasse à gérer… Tout ça commence à nous exténuer. Quand j’ai entendu Marisol Touraine s’exprimer sur ses projets d’encadrer les honoraires, quand j’ai vu son film réalisé avec la MGEN où elle explique que les Français sont pour la justice sociale - moi aussi je suis pour la justice sociale ! - j’ai vu rouge et j’ai écrit cette lettre. C’est une initiative personnelle pour dénoncer un ras-le-bol, pas du tout une démarche syndicale. Je ne suis pas une militante. Pour tout vous dire, j’ai cotisé à mon syndicat, l’UCDF, il y a dix, quinze jours seulement en me disant qu’il fallait lui donner les moyens d’être audible.
Comment cette lettre s’est-elle retrouvée sur Internet, diffusée sur de nombreux sites et forums ?
Un de mes internes l’a publiée sur Facebook. Des chirurgiens l’ont diffusée à leur tour, notamment sur le site des médecins pigeons. C’est à partir de là que ça a fait tâche d’huile et qu’elle s’est propagée un peu partout. Une fois encore, je ne parle qu’en mon nom. Cette lettre, c’est un cri du cœur. Mais je peux vous dire que je ne suis pas seule dans ce cas là. Chaque jour, je reçois une cinquantaine de témoignages de soutien de médecins en colère, de Lille, Toulouse, Tours, Chambéry, Lyon...
Que reprochez-vous à cet accord conventionnel ?
Ce qui me hérisse, c’est l’idée d’un contrôle, d’un encadrement sous prétexte d’améliorer l’accès aux soins. C’est un mensonge. Bloquer les honoraires des spécialistes à 70 euros, compte tenu des charges que nous avons à Paris, c’est impossible. Je refuse le principe même de me voir imposer un tel encadrement. On nous fait passer pour des « voleurs » et des « délinquants ». C’est sûr qu’il y a des médecins qui ne se sont pas bien conduits. Mais c’est une toute petite minorité.
Nous tous, chirurgiens, on se donne beaucoup de mal, on a tous une conscience assez aigüe du tact et de la mesure. Moi même, je travaille à mi-temps en hôpital public, où l’on fait des choses formidables, des plexus, des greffes du doigt… pour le salaire d’un attaché des hôpitaux, soit 1200 euros net par mois. Je pense que je donne déjà beaucoup à la communauté.
Quelles seraient les conséquences de l’application de cet accord sur votre activité ?
Je vais vous dire franchement : je pense que je ne serai même pas passible de sanctions, compte tenu de mes pratiques tarifaires. Au dernier trimestre, en privé, j’avais environ 45% de patients au tarif Sécu… Mais c’est le principe même d’un encadrement et d’un tribunal permanent qui va juger les médecins sur des « délits statistiques » qui me révolte. Au début, je me suis dis que je devrais licencier des salariés. Mais je ne veux pas me séparer d’une secrétaire, d’un personnel compétent, qui contribue à la qualité d’un cabinet. Je ne veux pas faire une médecine au rabais.
Vous serez en grève le 12 novembre, pour répondre à l’appel de plusieurs syndicats ?
Bien sûr. Et la plupart des cliniques que je connais à Paris vont suivre ce mouvement. Le ton monte, la colère gronde. Tous les chirurgiens libéraux que je connais à Paris sont mobilisés. Les hôpitaux sont aussi en grève : Necker, Garches, Pompidou, etc.
Qu’attendez-vous du ministère ?
J’attends que le plafonnement de 150% et les sanctions prévues par l’avenant n°8 soient retirés pour les spécialistes et les chirurgiens. Quand Marisol Touraine nous explique qu’il s’agit seulement d’une base de négociation, ce n’est pas vrai. Dans un an, ce ne sera plus un repère mais un plafond fixe, dans deux ans, ce chiffre passera à 100% et dans trois ans, on sera salarié de la Sécu, comme les Anglais… Je dis non. Ce n’est pas ma vision de la médecine. Vous allez voir, des milliers de médecins sont prêts à se déconventionner s’il le faut. Il faut aussi que les patients comprennent qu’on se bat pour la qualité de leur médecine.
(*) Arielle Salon est chirurgien de la main, libéral (secteur II) et hospitalier à Paris. Elle est membre du collectif « Blouses blanches en colère ! » (voir la page Facebook), créé par des praticiens dans le sillage de la publication de sa lettre ouverte à la ministre de la Santé.
Lettre d'Arielle Salon à Marisol Touraine (7/11/2012)
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