Arts
« IL FAUT DONNER de la santé à la forme », conseillait Ingres (1780-1867) à ses élèves. Si le peintre de Montauban défendit sans relâche l'idéal classique de la forme pure et rigoureuse, si sa réputation fut souvent celle d'un conservateur aux idées académiques et à la technique intransigeante, il sut dans le même temps libérer les espaces, animer les sujets, épanouir son coup de pinceau. Ingres ou la force et la finesse, le classicisme et l'audace, la tradition et l'annonce de la modernité.
Ce sont ces paradoxes, ou plutôt ces complémentarités, qui fascinèrent Picasso (1881-1973), ce mélange de perfection et de hardiesse. Après la période du cubisme tapageur, dès 1915, le peintre espagnol amorce un retour au classicisme et déploie une technique marquée par la raison et la tradition, tout en continuant à révolutionner les formes. C'est la période dite « ingresque », qui s'étend jusqu'à 1925.
Lorsque Picasso considère « le Bain turc », il ressent bien ce mélange de précision et de « bizarreries » qui cohabitent dans le chef-d'œuvre d'Ingres. Avec son « Harem », ses « Baigneuses » et ses « Deux femmes courant sur la plage », inspirés par le grand peintre, Pablo mêle assurance du trait et bouleversement des formes. Ingres peint « la Grande Odalisque » et Picasso imite la toile, pour ensuite la dépecer et la morceler, la défaire et la refaire : il résulte de ce travail, parmi d'autres œuvres, « La Femme couchée », qui n'est qu'une variante cubiste de la composition d'Ingres. Picasso, durant cette ère ingresque, revient à des sujets mythologiques, ou issus des codes de l'Antique, tout comme Ingres adhérait en son temps à la conception de la beauté des Grecs (le « beau idéal ») et se fondait sur les bases originelles de l'art.
Comment ne pas voir la parenté entre « Mme Rivière » et le célèbre « Portrait d'Olga dans un fauteuil » ?
Pacification.
L'exposition est pleine de ces correspondances. A l'instar d'Ingres, le souci de perfection anime Picasso, qui veut revenir à une « pacification » picturale. Tout comme son « maître à peindre », l'artiste de Malaga porte la femme aux nues. Baudelaire, en observant certains portraits d'Ingres, parlait de sa « rigueur de chirurgien » ; Picasso se plie à cette rigueur, à la sûreté du graphisme dont il fait preuve dans ses portraits. L'exposition prouve encore combien l'œuvre de Picasso doit à la tradition.
Lorsque Ingres exposa ses toiles aux Salons des années 1830, on cria à la barbarie. Les libertés qu'il prit avec la tradition et ses insoumissions aux dogmes purs ont pu le faire passer au XIXe pour un révolutionnaire. Moins d'un siècle plus tard, Picasso, après le tumulte que provoquèrent les « Demoiselles d'Avignon » (1907), s'assagit et entra dans le néoclassicisme. L'exposition montre avec mérite que l'étiquette de Messie du classicisme ne convient pas toujours au premier de ces génies, et celle d'agitateur désordonné et scandaleux au second.
* « Le Quotidien » du 19 mars.
Musée Picasso, hôtel Salé. 5, rue de Thorigny. Paris-3e. Tél. : 01.42.71.25.21. Entrée : 6,7 euros (TR : 5,2 euros). Jusqu'au 21 juin.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature