LES AFFECTIONS de longue durée (ALD) et les dépenses qu’elles représentent pour l’assurance-maladie (47,2 milliards d’euros pour le régime général, hors IJ) sont-elles dans le collimateur ? Enième d’une liste qui s’allonge au fil des mois, la commission des comptes de la Sécurité sociale (Ccss) vient en tout cas d’examiner l’évolution de la prise en charge des 8,2 millions de personnes concernées, dans le cadre des «éclairages maladie» de son dernier rapport (« le Quotidien » du 27 septembre). Les ALD sont au coeur de la gestion du risque maladie, puisqu’elles représentent déjà 60 % des dépenses totales de la branche et 40 % des dépenses des seuls soins de ville (hors indemnités journalières). Un poste de dépenses appelé à croître à l’avenir, puisque les effectifs des personnes souffrant de pathologies graves augmentent structurellement (du fait du vieillissement démographique et de l’accroissement de l’espérance de vie) et pourraient atteindre «10 millions en 2010», selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (Hcaam).
Bilan mitigé.
Or la Ccss dresse un bilan assez mitigé de la prise en charge des ALD depuis la réforme Douste-Blazy de 2004.
La Commission note une «montée en charge rapide» des nouveaux protocoles de soins ALD révisables, qui doivent être remplis par le médecin traitant (1) – sauf procédure dérogatoire pendant un délai de six mois –, et qui remplaceront à terme tous les anciens « Pirès » (protocole interrégime d’examen spécial).
Au premier semestre 2006, les médecins-conseils des caisses ont ainsi traité plus de 721 000 protocoles (dont 69 % de nouvelles admissions au régime ALD et 31 % de formulaires d’actualisation) et rendu encore plus d’avis (1,31 avis par protocole traité en moyenne). Depuis janvier 2006, la proportion des protocoles d’actualisation est «en nette progression» (de 22 % à 36 % entre janvier et juin), de même que le nombre de pathologies déclarées par protocole. «Ces premiers résultats témoignent d’une nette amélioration de la déclaration des différentes ALD qui devrait permettre un meilleur suivi de la prise en charge des affections et une meilleure connaissance des situations de comorbidité, souligne le rapport. Il est néanmoins trop tôt pour dire si ce dispositif aura un impact sur l’ampleur des flux d’admissions en 2006 et dans les années à venir.» Entre 1994 et 2005, les flux des admissions au régime ALD «ont augmenté à un rythme moyen annuel de 4,4%», mais leur progression «évolue sur des tendances beaucoup moins dynamiques, à +0,3% en 2004 et +1,3% en 2005».
«En 2005, la croissance des dépenses exonérées (de ticket modérateur) au titre d’une ALD dans le champ des soins de ville a légèrement fléchi», poursuit le rapport de la Ccss. Mais, en y regardant de plus près, la Commission observe que ce fléchissement ne doit pas tout à la réforme proprement dite. Ainsi, le «ralentissement plus marqué sur les dépenses de médicaments et plus particulièrement sur les médicaments vignettés à 100%» serait probablement lié «aux effets de la politique d’encadrement des médicaments délivrés à l’hôpital» (rétrocession sur l’enveloppe soins de ville) ainsi que du «passage de l’EPO en ville dont les prix ont également été mis sous contrôle». Un « effet prix » qui aurait permis de dégager «près de 210 millions d’euros d’économies en 2005».
Quant au ralentissement des honoraires médicaux pris en charge à 100 % au titre d’une ALD (l’évolution est passée de + 7,7 % les années précédentes à + 4,6 % en 2005), il ne serait que de façade. Les rémunérations des médecins libéraux liées aux affections de longue durée grimpent de + 8,6 % en 2005 si l’on y réintègre les forfaits de 40 euros versés aux médecins traitants pour chacun de leurs patients en ALD. Ces forfaits, qui se sont substitués à la rémunération du Pirès de 50 euros (ponctuelle et non annuelle), ont «coûté 130 millions d’euros à l’assurance-maladie en 2005», mais la mesure «devrait coûter environ 240 millions d’euros en année pleine», précise le rapport de la Ccss. D’un autre côté, les efforts des médecins libéraux pour mieux respecter les règles de l’ordonnancier bizone, dans le cadre de la maîtrise médicalisée, ont permis d’économiser «88 millions d’euros tous régimes en 2005».
La partie émergée de l’iceberg.
Mais «ces résultats restent fragiles pour plusieurs raisons», fait remarquer la commission des comptes. D’une part, le ralentissement des dépenses pourrait être en partie conjoncturel. En effet, les dépenses, mesurées en date de remboursement, sont «sensibles au ralentissement de la liquidation des caisses qui s’est produite en 2005» en raison de la mise en place conjointe de deux réformes (parcours de soins et tarification à l’activité dans les établissements).
D’autre part, «60% (des dépenses consacrées aux ALD) relèvent de la dépense hospitalière», fait valoir la Commission, alors que les résultats affichés par l’assurance-maladie portent sur les seuls soins de ville, autrement dit la partie émergée de l’iceberg.
«C’est pourquoi, comme le souligne la Cour des comptes, dans son dernier rapport sur les comptes de la Sécurité sociale, un ralentissement véritable des dépenses liées aux ALD est “illusoire” sans la mise en place de mesures plus contraignantes», affirme la Ccss, dont le secrétaire général est aussi conseiller-maître à la Cour de la rue Cambon.
Dans son rapport annuel sur la Sécu publié deux semaines avant celui de la Ccss, la Cour des comptes a écrit que les dépenses de ce poste restaient encore «difficiles à maîtriser»,même si les coûts des ALD étaient «mieux connus». Faisant le point sur les suites données à ses recommandations de 2004, la Cour des comptes observe qu’une «plus grande maîtrise des dépenses d’ALD» passe par la poursuite d’une meilleure application de l’ordonnancier bizone (2), mais aussi par «l’explicitation des fortes inégalités territoriales constatées» et «le renouvellement des référentiels des ALD».
C’est la Haute Autorité de santé (HAS) qui est chargée d’élaborer de nouveaux référentiels pour l’ensemble des ALD d’ici à 2008. A la fin du mois de mai, la HAS a publié ses premières recommandations sur la prise en charge de l’hépatite C et du diabète. Elle a notamment préconisé d’élargir le périmètre des soins remboursables aux personnes diabétiques à deux prestations (de diététique et podologique) classées jusqu’à présent hors nomenclature. Cependant, la HAS avait aussi envisagé l’idée d’exclure du champ des ALD les patients souffrant d’un diabète de type 2 non compliqué. Sans doute freinée dans sa démarche par le ministère de la Santé, la Haute Autorité a renoncé provisoirement à une telle recommandation qui aurait touché près du tiers des diabétiques et 9 % des dépenses de cette ALD. En attendant de pouvoir se prononcer avec plus de recul sur la délicate révision des critères médicaux d’admission en ALD, la HAS a réclamé un débat public sur le sujet (« le Quotidien » du 31 mai et du 2 juin).
Si les experts semblent vouloir resserrer à terme l’étau autour des ALD, gageons que ce débat public – s’il a lieu – ne sera pas engagé avant les prochaines échéances électorales...
(1) En concertation avec le ou les médecins spécialistes.
(2) L’assurance-maladie en attend 292 millions d’euros d’économies en 2006 et 146 millions en 2007.
100 millions d’euros d’économies dans le Plfss
Le ministre de la Santé compte dégager «100 millions d’euros d’économies» sur le poste des dépenses ALD en 2007. En présentant le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss), Xavier Bertrand a annoncé qu’il allait demander à la Haute Autorité de santé d’établir une liste limitée de produits qui n’entrent dans le traitement d’aucune ALD et ne devraient donc plus être remboursés à 100 % comme aujourd’hui.
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