DANS L'ENTÊTEMENT des salariés de la Sncm à rester des « demi-fonctionnaires », il y a quelque chose de pathétique, et même d'incompréhensible. Car l'Etat n'est pas forcément une protection contre le chômage. Le meilleur rempart de l'emploi, c'est la rentabilité. Pas plus que ses employés, l'Etat ne sait faire des bénéfices.
On a déjà remarqué que les marins syndiqués au STC (Syndicat des travailleurs corses) étaient à la fois d'ardents nationalistes voués à la haine du centralisme jacobin et des adorateurs de l'Etat, ce grand pourvoyeur de sécurité. Ils ne nous ont jamais expliqué cette profonde contradiction, sinon en déroutant un ferry vers la Corse auquel, selon eux, le navire appartenait : mais dans ce cas, pourquoi exiger que l'Etat français en reste le propriétaire ?
Des soucis depuis longtemps.
La lente déconfiture de la Sncm ne date pas d'aujourd'hui et puisqu'il s'agit d'une société nationale, l'Etat en est le premier responsable. C'est en 1992 que la concurrence sur les lignes Corse-métropole a été autorisée ; on a annoncé depuis lors des plans de restructuration qui n'ont pas été appliqués, preuve que l'Etat n'a pas su faire face à la concurrence qu'il a lui-même mise en place.
On suppose que les marins de la Sncm auraient été satisfaits d'avoir le monopole, ce qui aurait permis de compenser le coût d'exploitation par des hausses de tarifs à l'abri de toute compétition. C'est encore ce dont ils rêvent quand ils exigent du gouvernement qu'il ait une majorité absolue dans la Sncm : pas plus que l'Etat, les syndicats ne se sont préoccupés de la rentabilité de la compagnie ; pas une fois, ils ne se sont demandé à quels risques les exposaient le déficit et le passif, alors que Corsica Ferries fait des bénéfices.
Si on demandait une preuve de plus de l'incompétence de l'Etat en matière de gestion commerciale, la Sncm l'apporterait. L'intérêt bien compris des salariés se situe donc dans la restructuration : ils n'ont pas d'avenir si tout l'exercice consiste à perdre de l'argent rapidement remplacé par le contribuable. D'autant qu'il n'y a aucune raison d'en perdre puisque d'autres en gagnent.
Si on prend en considération la dimension politique du conflit, avec un engagement extrêmement fort de la CGT, un comportement irréductible des les marins corses (leurs officiers ont exprimé leur désaccord avec eux), on s'aperçoit que l'enjeu ne consiste pas à trouver une solution sociale, mais à imposer une logique.
IL NE S'AGIT PAS DE SAUVER 400 EMPLOIS, MAIS DE FAIRE UN EXEMPLE EN EMPÊCHANT UNE PRIVATISATION
« Dérive libérale ».
Pour les syndicats, il s'agit de donner un coup d'arrêt aux privatisations et de contraindre le gouvernement à renoncer à sa politique libérale : c'est seulement en maintenant l'Etat dans un certain nombre de rouages économiques, en remédiant à la concurrence par les subventions, en opposant la collectivité nationale aux menées des investisseurs privés - quel qu'en soit le coût pour les contribuables - qu'on empêchera la « dérive libérale ».
Pour le gouvernement, il s'agit de démontrer le contraire : l'Etat ne doit plus faire des affaires, l'Etat n'est ni un commerçant, ni un banquier, ni un industriel. Et encore moins un transporteur maritime. Ce ne sont pas les 400 licenciements prévus par le plan de restructuration de la Sncm qui intéressent la CGT, c'est la possibilité de faire reculer la politique économique du gouvernement grâce à cet abcès de fixation. Elle a donc un objectif plus vaste que le règlement d'un conflit social traditionnel. En ce sens, elle prend le relais de l'opposition, et avec un avantage : quand la gauche se contente de parler, les syndicats, qui ont promis de donner une suite à la journée d'action du 4 octobre dernier, établissent avec le gouvernement un rapport de forces.
C'est ce qui explique aussi que Dominique de Villepin, qui a hérité en l'occurrence d'un bien mauvais dossier et ne l'a pas traité au début avec beaucoup de perspicacité, ait choisi la fermeté après la concertation. Des observateurs impartiaux du conflit estiment que le gouvernement était en mesure de faire un geste de plus, notamment en apportant plus de moyens au redressement de la société, donc en gardant une part plus élevée de ses actifs. Mais nous ne sommes plus dans la recherche d'un dosage compliqué entre Etat, repreneurs et salariés actionnaires. Nous sommes dans une bataille, celle des privatisations et du modèle économique.
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