Idées
PEUT-ÊTRE parce qu’il est anglais, donc empiriste, Richard Evans n’oublie jamais les faits. Évoquant la dénazification, il la capte dans son decrescendo et la situe : il restait encore des milliers de criminels à traquer et à juger. On abandonne, car il faut se tourner vers l’avenir.
Très empiriste est aussi cette volonté de décrire en s’interdisant de juger : « Il me semble déplacé qu’un ouvrage d’histoire se permette le luxe de porter un jugement moral... » Et d’avouer, un peu trop modeste : « Il m’est impossible de savoir quel aurait été mon comportement sous le III e Reich. »
Sur le sujet, il y avait déjà d’autres ouvrages très célèbres. Mais William L. Shirer (« Le III e Reich, des origines à la chute ») s’intéresse à la « grande politique » avant tout. Ian Kershaw, dans sa biographie, s’est focalisé bien sûr sur le « cas Hitler ». Quant à l’historien allemand Friedrich Meinecke, resté dans son pays pendant ces événements, tout se résout au titre, « Une catastrophe allemande ». Il ne lui est pas venu à l’esprit, hasarde Richard Evans, que cela a aussi été une catastrophe juive...
Culture de la brutalité.
Le premier tome (« L’avènement ») insiste beaucoup sur la progressive décomposition de la société allemande de l’entre-guerres, l’effondrement économique et surtout une culture de brutalité effarante, qui va culminer avec la dissémination des camps, centres de torture et cachots. Le deuxième tome (1933-1939) est davantage centré sur la vie quotidienne, l’accroissement monstrueux de l’État policier devenu l’État criminel, l’aryanisation des commerces juifs, les lois de Nuremberg. Avec le dernier volume (1939-1945), on est sur tous les fronts de guerre, la chute progressive du Reich qui s’entrelace avec la pulsion exterminatrice, devenue folle.
Une voix de Dresde.
Vivifié de l’intérieur, l’ouvrage abrite un fécond squatter et l’utilise à maintes reprises. Victor Klemperer (1881-1960), cousin du chef d’orchestre, juif converti au protestantisme, est resté à Dresde pendant toute la guerre. Il a patiemment écrit son histoire, et aussi redonné voix à ceux qui disparurent ( « ses soldats de papier »). Dans ce journal, qui souvent s’abandonne aux plus infimes détails de la vie quotidienne, on assiste progressivement à la restriction de toutes les libertés. Interdit d’enseignement, son appartement finalement confisqué, il est contraint d’aller vivre dans la « Maison aux juifs » et survivra comme prisonnier de l’intérieur aux bombardements qui pulvérisèrent la ville.
C’est la petite voix de la grande Histoire qu’a sans cesse su écouter Evans, on l’entend souvent sous le fracas des faits.
Richard J. Evans, « le Troisième Reich », Flammarion, collection « Au fil de l’histoire », trois volumes, « l’Avènement » (27 euros), « 1933-1939 » (31 euros), « 1939-1945 » (35 euros).
* Traduits dans 15 langues, ils ont été publiés en Angleterre en 2003, 2005 et 2008.
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