L'EXISTENCE de polymorphismes génétiques affectant des gènes codant pour le métabolisme des médicaments aboutit à distinguer, dans la population générale, différentes classes d'individus en fonction de leur capacité métabolique vis-à-vis d'une enzyme donnée. Il existe des métaboliseurs lents, rapides et même parfois ultrarapides.
Les anti-vitamine K (acénocoumarol) sont largement utilisés en prévention des troubles thromboemboliques. Or il existe des réponses très variées : pour une posologie donnée, certains risquent des hémorragies ; pour d'autres, l'anticoagulation ne sera pas suffisante. Les travaux, dirigés par Philippe Beaune (Inserm U490 « toxicologie moléculaire ») et publiés dans « Blood », montrent que deux polymorphismes génétiques expliquent 50 % des variabilités de réponse. Un risque hémorragique est dû à une hypersensibilité au traitement ; le risque thrombotique est associé à une résistance. Une dose unique d'acénocoumarol a été administrée à 270 sujets chez qui on a recherché les variants de deux gènes : l'un codant le cytochrome P4550 2 C9 (CYP2C9), principale enzyme du métabolisme hépatique de l'anticoagulant, l'autre codant le VKORC1, impliqué dans le métabolisme de la vitamine K. Deux polymorphismes (un pour chaque) sont associés à la réponse pharmacologique et à sa variabilité.
« Nous sommes en train de mettre sur pied à l'hôpital un programme informatique de prescription des anti-vitamine K », indique le Dr Beaune. L'utilisation de cette approche de la prescription d'acénocoumarol sera validée prochainement dans l'unité de pharmacogénétique de l'hôpital européen Georges-Pompidou (Hegp). Une publication sur des patients va bientôt être publiée.
Des travaux sont menés dans d'autres classes thérapeutiques où la réponse est variable et où il est manifestement très avantageux de la prédire. Les enzymes du métabolisme sont connues ; on est dans une démarche inverse et on essaye de savoir s'il existe un réponse en fonction des polymorphismes, comme dans le cas d'immunosuppresseurs (tacrolimus et sirolimus), pour les enzymes CYP3A5 et MDR ; idem pour l'enzyme TPMT dans le cas de l'azathioprine (objectif : éviter le risque d'aplasie pour le traitement d'une RCH ou d'une maladie de Crohn).
Prédiction de la réponse aux anti-cancéreux.
En cancérologie, « la prédiction de la réponse aux agents anticancéreux devient un problème crucial, compte tenu de la fenêtre thérapeutique étroite de ces médicaments et des alternatives possibles entre différents protocoles de chimiothérapie », expliquent L. de Chaisemartin et M.-A. Loriot (« Pathologie Biologie », 53 (2005), 116-124). La sensibilité au 5-fluoro-uracile peut dépendre de variants des gènes de deux enzymes impliquées dans le métabolisme : la thymidylate synthase et la méthylènetétrahydrofolate réductase. Un allèle (3R) a été associé à une diminution de la survie dans la leucémie aiguë lymphoblastique. Avec l'irinotécan, plusieurs études ont montré que le génotype (TA)7/(TA)7 est associé à une toxicité accrue, hématologique et digestive. Avec les dérivés du platine, un polymorphisme sur la glutathion-S-transférase a pu être corrélé à une augmentation de la survie de malades atteints d'un cancer colo-rectal métastasé.
Pour les psychotropes, on en est au stade prospectif. Les antidépresseurs sont efficaces dans 40 % des cas, rappelle le Dr Beaune ; des variations portant sur le cytochrome CYP2D6 pourraient expliquer que certains métabolisent rapidement le médicament et d'autres, très peu. Autre exemple : la codéine, active après métabolisme en morphine par le cytochrome P450 ; si ce dernier est déficient, la codéine n'aura pas d'effet antalgique. Mais si le métabolisme est rapide, on peut craindre à des accidents par excès de morphine.
Des données attendent d'être validées pour être utilisées en clinique ; d'autres sont en cours de prospection. On a conçu des tests rapides et peu coûteux ; des puces biologiques adéquates, comportant les gènes d'intérêt, sont en train d'être mises au point. Des services cliniques vont démarrer les tests au stade d'observation, comme l'IGR et plusieurs hôpitaux à Paris (Robert-Debré, Hegp, Bicêtre), Lille Nancy, Bordeaux, Lyon. Des réseaux de pharmacogénétique sont en place, sous l'égide de l'Inserm et coordonnés par le Dr Philippe Beaune. Quatre réseaux (dix équipes par réseau) concernant les champs des anti-vitamine K, des psychotropes, des immunosuppresseurs, des anticancéreux et aussi de la pharmacovigilance. Le réseau anti-vitamine K fonctionne comme une base, celui sur les immunosuppresseurs est avancé. Pour les psychotropes, on en est au départ. Pour Chaisemartin et Loriot, « la prescription thérapeutique individualisée sur la base de facteurs génétiques semble aujourd'hui devenir une réalité ».
Conférence de presse organisée par l'Inserm.
« Blood », édition avancée en ligne.
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