Points douloureux
Bien que l'utilisation de la recherche des points douloureux à la pression officialisée dans les critères définis par le collège américain de rhumatologie (ACR) en 1990 constitue un critère clinique toujours actuel dans l'établissement du diagnostic de fibromyalgie, ils doivent toutefois être interprétés. Ainsi, le seuil des 11 points indispensables au diagnostic, selon les critères ACR, a-t-il un caractère arbitraire qui doit inciter le clinicien à analyser plus largement la douleur ressentie par le patient pour faire le diagnostic de fibromyalgie.
L'EULAR* recommande d'ailleurs une évaluation complète de la douleur et du contexte fonctionnel et psychosocial pour comprendre ces tableaux cliniques toujours complexes et souvent hétérogènes. Sans oublier la recherche des autres symptômes médicalement inexpliqués non inclus dans les critères de l'ACR : asthénie, troubles du sommeil quasi constants, avec perturbations spécifiques telle une activité alpha de type phasique, céphalées de tension, douleurs abdominales, troubles génito-urinaires.
Reste de l'examen normal
Hormis les points douloureux à la pression, l'examen physique est normal ; il n'y a ni synovite, ni raideur articulaire, ni réduction de la force musculaire, sauf autre pathologie associée. Il n'y a pas non plus d'anomalie biologique : pas de syndrome inflammatoire, pas de dysthyroïdie, pas d'hyperparathyroïdie, bilan hépatique normal, fonction rénale normale, pas de facteurs antinucléaires, ni de facteurs rhumatoïdes. La pratique de sérologies virales (EBV, CMV, VIH, hépatite B et C) ou de la maladie de Lyme ne doit pas être systématique, mais doit dépendre du contexte clinique. Ces critères diagnostiques évoluent parallèlement aux connaissances étiopathogéniques de cette intrigante affection.
Pistes physiopathologiques
De nombreux arguments plaident pour l'existence d'une perturbation des systèmes de régulation de la douleur chez les patients fibromyalgiques, avec, en particulier, une hypersensibilisation du système nerveux central et des dysrégulations neuroendocrininennes :
– arguments cliniques, avec l'hyperalgésie, l'allodynie, abaissement du seuil douloureux, etc. ;
– arguments biologiques, avec l'augmentation des taux de substance P et de NGF (Nerve Growth Factor), la réduction du taux de sérotonine et de norépinéphrine dans le liquide céphalo-rachidien, la corrélation entre la douleur et les taux de neurotransmetteurs stimulateurs (aspartate, glutamate), le rôle de l'IL1, de l'IL6 et du TNF alpha ; la question des perturbations de l'axe hypothalamo-hypophyso- surrénalien ;
– activation de certaines zones cérébrales lors d'une réaction douloureuse, démontrées en neuro-imagerie fonctionnelle (cortex somato-sensoriel, thalamus, insula…) permettant d'objectiver le concept de sensibilisation centrale.
Ces dysfonctionnements aboutissant à des troubles chroniques du contrôle endogène de la douleur pourraient avoir été déclenchés par de nombreux facteurs : traumatiques, psychiques, infectieux, sur un terrain prédisposé.
Prédispositions génétiques
On sait maintenant, en effet, qu'il existe une agrégation familiale dans la fibromyalgie, ce qui n'implique pas nécessairement une prédisposition génétique, mais peut s'expliquer par des facteurs environnementaux partagés. Néanmoins, les nombreux travaux sur les éventuels gènes candidats semblent aussi plaider pour le rôle de facteurs génétiques : gènes liés aux transporteurs ou aux récepteurs à la sérotonine, à la dopamine, à la norépinéphrine. Aucune certitude actuelle, mais de nombreuses pistes qui pourraient permettre de mieux comprendre un certain nombre d'associations et de proximités troublantes en clinique : lien avec la dépression, le syndrome de stress post-traumatique, d'autres syndromes douloureux chroniques, caractéristiques émotionnelles des patients, avec tendance au catastrophisme, etc.
Recommandations de prise en charge
Des recommandations faites par l'EULAR, sur la base de plus d'une centaine d'études requérant des critères d'inclusion exigeants, permettent d'ores et déjà d'adopter une attitude plus consensuelle face à cette pathologie encore mal définie et souvent source de frustration pour les patients comme pour les médecins.
Dix recommandations ont été développées qui concernent la prise en charge pluridisciplinaire, pharmacologique et non pharmacologique, qui doit être modulée selon l'intensité de la douleur, de la fatigue, l'existence d'un syndrome dépressif et l'ensemble de l'état général. Le traitement en balnéothérapie chaude, avec ou sans exercices, est considéré comme efficace et recommandé. Un programme d'exercices aérobiques et d'étirements est considéré comme efficace. Physiothérapie, relaxation, psychothérapie de soutien peuvent aussi être utiles si le patient en fait la demande. La prise en charge pharmacologique doit s'appuyer sur des antalgiques de type tramadol (recommandé), éventuellement du paracétamol ou d'autres opioïdes faibles ; les antidépresseurs (amitriptyline, fluoxétine, duloxétine, milnacipran, moclobémide, pirlindole) ont démontré leur efficacité en réduisant la douleur et en améliorant la fonction, mais tous n'ont pas une AMM spécifique dans cette indication. Enfin, trois autres molécules n'ayant pas non plus l'AMM dans cette affection sont capables de réduire la douleur, avec un fort niveau de preuve, et sont recommandées par l'EULAR : la prégabaline, la tropisétron et le pramipexole.
Prise en charge globale
La fibromyalgie, aussi passionnante qu'elle peut être désespérante, est, du fait de sa complexité, le type même de pathologie nécessitant une prise en charge globale et multidisciplinaire. Une grande part de son intérêt vient de ses frontières multiples avec d'autres affections et du retentissement émotionnel sévère qu'elle partage avec ces dernières.
* EULAR (European League Against Rhumatism).
– EULAR evidence based recommendations for the management of fibromyalgia syndrome. « Ann Rheum Dis », june 2008 ; 67 : 536-41.
– Jacob Ablin, Lily Neumann, Dan Buskila Pathogenis of fibromyalgia : a review Joint Bone Spine, volume 75, issue 3, may 2008, pp. 273-79.
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