Une épidémiologie complexe
La THA est liée à un protozoaire du genre Trypanosoma, transmis de l'homme à l'homme par un vecteur, la glossine, ou « mouche tsé-tsé ». La glossine s'infecte préalablement chez l'homme ou chez des animaux porteurs du parasite pathogène pour l'homme. Il existe, en effet, de nombreuses espèces et sous-espèces de trypanosomes pathogènes pour l'animal sauvage ou domestique et pas pour l'homme. La glossine vit en Afrique, certaines espèces dans la végétation, au bord des cours d'eau et des lacs, d'autres dans les forêts galeries, dans la savane, qui migrent lors de la saison des pluies. Seules certaines espèces transmettent la maladie. Pour compliquer encore le problème, de nombreuses zones où vivent les glossines incriminées sont indemnes de trypanosomiase…
La THA est donc organisée en foyers distribués autour des lieux d'habitat des différentes glossines. La taille de ces foyers varie d'un village à une région entière avec une intensité de transmission de la maladie variable à l'intérieur de ces mêmes zones.
Deux formes géographiquement et cliniquement bien distinctes de la maladie coexistent. La THA à Trypanosoma brucei gambiense(TG), présente en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, est responsable de 90 % des cas déclarés et provoque une maladie chronique. Le patient peut être infecté pendant une longue période sans présenter de symptôme important ; il se comporte alors en « réservoir ». Lorsque les symptômes surviennent, la maladie est avancée et le système nerveux est déjà atteint.
La THA à Trypanosoma brucei rhodsiense(TR) se retrouve en Afrique de l'Est et du Sud. Elle représente moins de 10 % des cas notifiés et provoque une maladie aiguë envahissant rapidement le SNC.
Quelques chiffres
L'Afrique a connu plusieurs grandes épidémies dont celle de 1920 qui a touché plusieurs pays et a été combattue par des équipes mobiles ayant organisé le dépistage chez des millions de personnes à risque. Les principes de prévention sont mis au point par Eugène Jamot qui élabore, au Cameroun, une méthode révolutionnaire pour l'époque avec des résultats remarquables. Il s'agit d'aller de village en village, d'examiner l'ensemble de la population, de dépister et de traiter les « sommeilleux » sur place. Cette méthode sera adaptée et pérennisée par les organismes de gestion des grandes endémies*… Dans les années 1960, avec une surveillance bien menée, la maladie a presque disparu. Depuis 1970, l'épidémie reprend, favorisée par le relâchement de la surveillance et les luttes guerrières locorégionales.
La THA menace actuellement des millions de personnes dans 36 pays d'Afrique subsaharienne, dont seulement une minorité est réellement ou efficacement surveillée.
En 1986, un comité d'experts réunis par l'OMS a estimé à 70 millions le nombre de personnes vivant en zone de transmission vectorielle.
La transmission semble avoir été interrompue dans certains pays comme le Burundi, l'Ethiopie, le Sénégal ou le Niger, où aucun cas n'a plus été déclaré depuis dix ans. Mais il semble, au contraire, qu'on observe des flambées majeures en Angola, en République démocratique du Congo (2005) et en Côte d'Ivoire.
Il n'aura fallu que vingt-cinq ans pour perdre le bénéfice de décennies de lutte acharnée…
Les cas déclarés sont largement sous-estimés (17 240 en 2004), faute de surveillance et de moyens diagnostiques suffisants. De nombreux patients meurent donc toujours avant d'avoir fait l'objet d'un diagnostic ou bénéficié de soins.
Une clinique aspécifique, un diagnostic difficile
La maladie se présente aujourd'hui comme il y a cent ans. On décrit toujours un chancre d'inoculation, une première phase de dissémination lymphatico-sanguine et une phase terminale de polarisation cérébrale. Les symptômes surviennent après la piqûre d'une glossine infestée ; il faut savoir rechercher la notion d'une escarre d'inoculation nécrotique. Chez le sujet autochtone, cette piqûre passe largement inaperçue au milieu de toutes les agressions de la vie quotidienne… Chez l'Européen touriste, la situation est différente. Une infestation par TR, dont l'évolution est extrêmement courte, fait que, au retour en Europe, l'escarre d'inoculation est parfaitement visible, souvent au niveau de la nuque, avec un syndrome fébrile. Le diagnostic est alors aisé à effectuer, dès l'interrogatoire. L'association d'un séjour en Afrique de l'Est dans la région des grands lacs, d'une « piqûre de taon » et d'une fièvre doit amener à un examen microbiologique de la croûte où pullulent les trypanosomes.
Pour l'infection à TG, la problématique est différente du fait de l'évolution lente. L'adénopathie (ADP) du triangle cervical postérieur (de Winterbottom) est présente chez 60 à 70 % des malades. Elle est classiquement molle et indolore et mobile. La bouffissure du visage est certainement le symptôme le plus évocateur mais aussi le plus rare. En pratique, une ADP cervicale et une fièvre non palustre doivent faire chercher un antécédent tropical lointain de séjour en zone d'endémie, sous peine d'une errance diagnostique prolongée… et faire réaliser une ponction du suc ganglionnaire à la recherche de trypanosomes. La phase de polarisation cérébrale chez l'Européen est, en revanche, beaucoup moins évidente à diagnostiquer. Des anomalies neuropsychiatriques associées à un séjour lointain en Afrique et une hypergammaglobulinémie à IgM dans le sang (> 4 fois la norme dans plus de 95 % des cas), mais surtout dans le LCR (synthèse intrathécale) doivent faire évoquer le diagnostic. Selon les phases, le trypanosome peut parfois être mis en évidence dans les liquides biologiques : sang sur frottis mince, ganglion, LCR : c'est le diagnostic de certitude. Si le parasite n'est pas visible, le diagnostic sera présomptif, ce qui, eu égard à la toxicité du traitement, est une situation difficile… Des méthodes sérologiques sont possibles, de type hémagglutination indirecte (Cellognost), avec un manque de sensibilité certain (variabilité antigénique, réactions croisées et détection d'affections passées). Certains sérodiagnostics rapides (Card Agglutination Test for Trypanosomiasis ou CATT) sont, en revanche, disponibles en zone d'endémie et très utiles sur le terrain. L'avenir est à la PCR, non réalisée en routine, permettant un diagnostic précis.
Les autres parasitoses graves du SNC
Les atteintes du SNC d'origine parasitaire sont mal connues dans les pays industrialisés du fait de leur rareté. Deux pathologies font exception : le neuropaludisme à Plasmodium falciparum, entité redoutable qui doit être évoquée systématiquement devant un état fébrile avec signes neurologiques au retour d'outre-mer, et la toxoplasmose cérébrale, dont la clinique a malheureusement été redécouverte à l'occasion de l'épidémie du VIH, au cours de laquelle cette complication était fréquente avant l'ère des trithérapies.
Nous citerons enfin les principales autres causes parasitaires d'atteintes graves du SNC :
– la neurocysticercose est liée à l'enkystement intracérébral des larves de Taenia solium, parasite du porc. Cela explique que cette pathologie soit rare dans les pays musulmans mais fréquente en Asie, en Inde et dans l'océan Indien (Madagascar). La comitialité est la principale présentation clinique, secondaire à l'irritation locale du SNC par le kyste. Le traitement fait appel à l'albendazole (15 mg/k/j, 1 à 4 semaines) mais aussi parfois à la neurochirurgie ;
– l' angiostrongiloïdose : la principale complication de l'infestation humaine par Angiostrongylus cantonensis est la méningite à éosinophiles. Cette maladie est présente en Asie du Sud-Est, mais aussi en Polynésie française où le touriste se contaminera en ingérant crus des crustacés d'eau douce (« chevrettes »), hôtes du parasite. La guérison est en général spontanée, en quelques semaines, mais des douleurs résiduelles peuvent persister quelques mois. Aucun antiparasitaire n'est efficace ;
– l' anguillulose maligne, outre les signes digestifs et généraux souvent sévères, se traduit par une encéphalite avec un pronostic très péjoratif. Cela justifie le traitement SYSTEMATIQUE par ivermectine (Stromectol 3 mg : 4 cp en une prise entre 51 et 65 kg, 5 cp entre 66 et 79 kg) avant toute corticothérapie. Cette mesure s'applique aussi bien aux patients ayant un passé tropical qu'à ceux n'ayant jamais quitté l'Hexagone puisqu'il existe des «cas autochtones» d'anguillulose.
Le traitement n'a pas changé depuis trente ans...
Il est différent, selon l'espèce en cause, selon que le sujet est en phase 1 ou 2. La toxicité des molécules utilisées est aussi différente, l'encéphalopathie arsénicale, qui survient dans 2 à 5 % des cas, étant presque toujours fatale. Ainsi, dans la THA à TG, la phase 1 est traitée par pentamidine I.-M. ou I.-V. (Pentacarinat), la phase 2 par dérivé arsenical, le mélarsoprol I.-V. (Arsobal) ou éflornithine I.-V. (Ornidyl).
Seule la prévention peut permettre d'éviter la maladie : information aux voyageurs et lutte contre les piqûres d'insecte. A plus large échelle, l'OMS réorganise un système de dépistage et de prévention dans les zones d'endémie depuis la réémergence de la maladie.
* Pour approfondir le sujet, et en particulier l'historique, consulter la page Web: www.asnom.org.
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