PRATIQUE
I - GENERALITES
La drépanocytose est due à la mutation du sixième codon de la chaîne bêta-globine (bêta-6-GLU VAL). Les molécules d'hémoglobine drépanocytaire (HbS) ont la propriété, sous leur forme désoxygénée, de polymériser pour former des fibres intracellulaires qui modifient le globule rouge en lui donnant sa forme caractéristique en faucille ou feuille de houx, le drépanocyte. La polymérisation des molécules d'HbS déforme la cellule, la fragilise (rendant compte de l'anémie hémolytique) et la rigidifie (rendant compte des accidents vaso-occlusifs).
La maladie est une affection transmise selon le mode mendélien récessif autosomique. Les sujets hétérozygotes sont dits AS et les homozygotes SS. Il existe d'autres anomalies de l'hémoglobine pouvant s'associer à la drépanocytose : l'hémoglobine C et la bêta-thalassémie. Les hétérozygotes composites SC ou S-bêta-thalassémiques ont une maladie comparable à celle des homozygotes SS, mais souvent atténuée.
II - HETEROZYGOTE OU HOMOZYGOTE
1. La drépanocytose hétérozygote AS (ou trait drépanocytaire)
Les patients porteurs du trait drépanocytaire sont asymptomatiques. L'hémogramme est normal. L'électrophorèse de l'hémoglobine montre une fraction majeure d'hémoglobine A de 60 à 55 % et une fraction d'HbS de 45 à 40 %.
2. La drépanocytose homozygote
La symptomatologie clinique de la drépanocytose homozygote comporte trois types de situations : les phases stationnaires, les complications aiguës dont la fréquence diminue avec l'âge sans pour autant disparaître chez l'adolescent et l'adulte, et les complications chroniques.
a)Les phases stationnaires
L'anémie est constante ; l'ictère conjonctival est variable. La splénomégalie est constatée dès les premiers mois de vie et persiste quelques années pour disparaître spontanément (autosplénectomie).
En zone tempérée, la croissance staturo-pondérale est normale et le développement pubertaire se fait de façon satisfaisante, bien qu'avec un certain retard. Chez les adultes, la fertilité des hommes et des femmes est normale.
La drépanocytose homozygote est caractérisée par un taux d'hémoglobine situé entre 7 et 9 g/dl, une réticulocytose entre 200 000 et 600 000/mm3, une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et une tendance à la thrombocytose. L'électrophorèse de l'hémoglobine met en évidence la présence d'hémoglobines S, F et A2 ; il n'y a pas d'hémoglobine A.
b)Les complications aiguës
- Les crises douloureuses drépanocytaires
Les crises douloureuses dominent la symptomatologie de la maladie drépanocytaire. Les deux signes principaux sont la fièvre et la douleur. Ces crises peuvent être spontanées (une fois sur deux environ) ou provoquées par un facteur comme l'infection, le froid, la fatigue, la fièvre, la déshydratation, et toute situation entraînant une hypoxémie. La fièvre peut être modérée aux alentours de 38 °C ou atteindre 39 °C voire 40. Elle cède avec la fin de la crise, qui peut durer spontanément cinq à dix jours. Les crises intéressant les membres entraînent une impotence fonctionnelle totale. Les crises abdominales peuvent correspondre à des infarctus intéressant la rate. La douleur peut également se porter sur les régions vertébrales et dorso-lombaires. Chez le petit enfant, avant 4-5 ans, un équivalent de la crise est réalisé par le syndrome pied-main. De nombreuses crises drépanocytaires peu sévères (douleurs peu intenses, fièvre modérée inférieure à 38,5 °C) peuvent être traitées à domicile en relation avec le médecin traitant par l'association des mesures suivantes : repos au chaud, boissons abondantes, traitement antalgique simple (acide acétylsalicylique, paracétamol). En cas d'hospitalisation pour une crise sévère, le traitement associe repos, hydratation, oxygénothérapie et un traitement antalgique adapté : nalbuphine, burprénorphine et morphine selon les centres et l'intensité des douleurs. Des crises très intenses peuvent requérir un échange transfusionnel (cf. infra).
- Les infections
Les infections sont responsables d'une part importante de la mortalité et de la morbidité. La fréquence des accidents infectieux diminue avec l'âge mais le risque persiste toute la vie. Les méningites et les septicémies sont les infections les plus graves car elles peuvent mettre en jeu le pronostic vital et laisser des séquelles (complications neuro-sensorielles). Les germes responsables de méningites et de septicémies sont le plus souvent le pneumocoque et Haemophilus influenzae. Le traitement préventif des septicémies et des méningites à pneumocoque repose sur la prescription précoce de pénicilline dès le diagnostic établi. Elle est poursuivie toute la première décennie. Cette prescription justifie le dépistage néo-natal de la drépanocytose. Les vaccinations contre le pneumocoque et l' Haemophilus sont faites systématiquement. Les pneumopathies à mycoplasmes ou à Chlamydiae représentent l'accident infectieux le plus fréquent chez les malades drépanocytaires ; elles peuvent participer à un syndrome thoracique aigu (cf. infra). Les ostéomyélites à salmonelles ou à staphylocoques sont des complications infectieuses courantes dans la drépanocytose. Tous les os peuvent être atteints et les localisations plurifocales ne sont pas rares. Il n'y a pas de sensibilité particulière aux infections virales.
En ce qui concerne le paludisme, il a été montré que la drépanocytose conférait une protection relative mais non absolue à l'égard de cette parasitose.
- L'aggravation de l'anémie
Toute situation fébrile et toute crise douloureuse peuvent accentuer l'anémie chronique des malades drépanocytaires. Chez l'enfant, les crises de séquestration splénique associent une anémie profonde se constituant en quelques heures à une splénomégalie importante. Enfin, les crises d'érythroblastopénie sont souvent imputables au Parvovirus B19. Le traitement de l'anémie aiguë est la transfusion sanguine simple de concentrés érythrocytaires phénotypés, déleucocytés et déplaquettés ou filtrés. Les apports transfusionnels dépendent du degré de la déglobulisation. D'autre part, l'hyperhémolyse peut se compliquer d'une carence en folates.
- Les « accidents vaso-occlusifs graves »
Les « accidents vaso-occlusifs graves » regroupent une série de complications caractérisées par un déficit organique plus ou moins grave. Les accidents vasculaires cérébraux responsables de déficits neurologiques (hémiplégie, monoplégie) ou sensoriels, soudains ou progressifs, sont des complications fréquentes. Les syndromes thoraciques aigus sont définis par l'association douleur, dyspnée, image pulmonaire radiologique anormale. Le priapisme est rare dans l'enfance, mais fréquent à partir de l'adolescence. Enfin, on rattache à ce groupe de complications l'amaurose par occlusion de l'artère centrale de la rétine et les hématuries macroscopiques des nécroses papillaires. Tout accident vaso-occlusif requiert un échange transfusionnel.
c)Les complications chroniques
Les complications chroniques sont plus volontiers observées chez les adolescents et les adultes que chez l'enfant. Les ulcères de jambe sont rares chez l'enfant ; ils peuvent survenir chez les adolescents. Ils siègent dans les régions des chevilles et sont favorisés par les traumatismes. Les hanches et les épaules sont les principales articulations intéressées par les nécroses osseuses. Ces nécroses sont d'abord asymptomatiques, puis elles sont responsables de douleurs et de gêne fonctionnelle. Les complications oculaires les plus habituelles sont les rétinopathies prolifératives, dont le dépistage préventif par des examens réguliers de l'il doit être fait régulièrement à partir de 12-14 ans pour intervenir à temps (laser). De nombreux patients évoluent vers l'insuffisance rénale chronique secondaire ou non à des infection, et dont le premier signe peut être une accentuation de l'anémie. Les insuffisances respiratoires et/ou cardiaques sont rares chez l'enfant. La lithiase biliaire est d'une grande fréquence au cours de la drépanocytose. Elle peut être mise en évidence par une échographie. La cholécystectomie est le traitement de toute lithiase diagnostiquée.
3. Les hétérozygotes composites SC et S-bêta-thalassémiques
Les hétérozygotes composites SC et S-bêta-thalassémiques doivent être considérés comme des drépanocytaires homozygotes. En effet, ces patients sont susceptibles de faire les mêmes complications que les drépanocytaires homozygotes avec cependant une moindre fréquence et une moindre intensité.
III - TRAITEMENT
Principe de la prise en charge
La prise en charge des syndromes drépanocytaires se fait dans des centres hospitaliers spécialisés. Le médecin traitant contribue à cette prise en charge. Chaque patient est suivi régulièrement en consultation et doit pouvoir accéder rapidement aux « urgences » d'un hôpital en cas de nécessité.
La transfusion sanguine dans la drépanocytose
- La transfusion sanguine simple est utilisée en cas d'aggravation de l'anémie. Son but est de ramener le taux d'hémoglobine abaissé à sa valeur habituelle.
- L'objectif de l'échange transfusionnel est de remplacer les hématies drépanocytaires par des hématies contenant de l'hémoglobine A. Cet échange doit se faire en règle générale à hématocrite constant. Les techniques manuelles supposent deux voies d'abord veineuses, l'une pour la soustraction (saignée), l'autre pour les apports (transfusion). L'échange transfusionnel est indiqué pour préparer les malades à une intervention et pour traiter une complication grave (crises sévères, accidents vaso-occlusifs graves).
- Ces programmes de transfusion sanguine au long cours ont pour objectif de maintenir en permanence le taux d'hémoglobine S au-dessous de 20, 30 ou 40 % selon l'indication clinique (prévention de rechutes d'accident vasculaire cérébral, de crises douloureuses...). La technique consiste à faire des transfusions simples régulières toutes les trois à quatre semaines en ajustant les apports en fonction des taux d'hémoglobine S mesurés avant et après chaque transfusion.
Nouvelles thérapeutiques
Des médicaments sont susceptibles d'augmenter l'hémoglobine ftale (HbF) dans le globule rouge drépanocytaire. L'HbF exerce un rôle protecteur contre les effets pathologiques de l'hémoglobine. Depuis plusieurs années, on a ainsi montré la réduction de la fréquence des crises douloureuses drépanocytaires, des hospitalisations, du recours à la transfusion sanguine et des syndromes thoraciques aigu chez les malades recevant de l'hydroxyurée. Seul les malades atteints de formes sévères de drépanocytose doivent recevoir ce traitement en raison d'incertitudes sur la toxicité à long terme de cette chimiothérapie, le risque sur la fertilité ultérieure, le risque de leucémogenèse ou de cancérogenèse.
La transplantation médullaire allogénique peut être proposée dans les formes très graves de drépanocytose lorsqu'il existe un donneur HLA compatible dans la fratrie. En 2001, la tendance est de réserver cette thérapeutique aux patients qui font des complications graves de la maladie, notamment les déficits neurologiques dus aux accidents vasculaires cérébraux. En effet, les risques inhérents à la transplantation médullaire ne permettent pas de proposer largement ce traitement.
IV - CONSEIL GENETIQUE ET DIAGNOSTIC PRENATAL
Le diagnostic prénatal peut être proposé aux couples à risque qui ne souhaitent pas avoir d'enfant atteint de drépanocytose homozygote. Il s'inscrit dans le conseil génétique à donner aux porteurs de la drépanocytose.
V - CONCLUSION
En l'absence de prise en charge correcte et de thérapeutique préventive et curative, la drépanocytose est une maladie souvent grave et parfois mortelle. Lorsque le traitement est bien appliqué, la drépanocytose est une maladie dont la médiane de l'espérance de vie dépasse maintenant 40-50 ans.
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