«LE CONFLIT qui oppose certains patients mourants qui réclament des traitements, même s'ils ne sont qu'au stade expérimental, et les médecins qui recommandent de la prudence et la mise en oeuvre d'essais cliniques n'est pas nouveau», explique Helen Pearson dans « Nature » (29 mars). Le cas que rapporte la revue est pourtant inédit. Des travaux canadiens publiés en janvier dans « Cancer Cell » ont soulevé beaucoup d'espoirs chez les patients atteints de cancer. Le Dr Evangelos Michelakis et coll. de l'université d'Alberta ont montré que le dichloroacétate (DCA), une molécule utilisée depuis des années pour traiter des enfants atteints de maladie mitochondriale, provoquait une régression tumorale dans plusieurs types de cancers, du poumon, du sein et du cerveau (voir encadré). Le chercheur est enthousiaste : «Une des choses les plus excitantes concernant cette molécule est qu'elle pourrait combattre plusieurs types de cancers, parce que la fonction mithochondriale est supprimée dans tous les cancers. En fait, cela explique pourquoi la plupart d'entre eux peuvent être détectés lors d'un PET-scan, dont le principe repose précisément sur la différence de profil métabolique entre cellules cancéreuses et cellules normales.»
Molécule de petite taille, inodore et incolore, le DCA est soluble dans l'eau et peut être administré par voie orale. Comme il a déjà été testé chez des patients sains et malades, il pourrait rapidement faire l'objet d'essais cliniques de phase II/III.
Cependant, la molécule découverte depuis longtemps n'est protégée par aucun brevet. Les chercheurs ont fait une demande de brevet uniquement pour l'utilisation dans le traitement du cancer, une protection insuffisante pour attirer les entreprises pharmaceutiques et les inciter à investir. Soutenus par l'université d'Alberta, ils ont lancé un appel aux dons via Internet (www.depmed.ualberta. ca/dca).
Un spécialiste de produits vétérinaires.
Mais les patients au stade terminal de la maladie ne l'entendent pas de cette oreille. D'autant que, dans le même temps, un spécialiste de produits pour animaux, Tim Tassano, s'est emparé de la molécule. Touché par la maladie de son professeur de danse, il est à la recherche de traitements alternatifs lorsqu'il apprend l'existence du DCA. Avec l'aide d'un ami chimiste, il décide de synthétiser la molécule, qu'il a mise en vente sur Internet (buydca.com), en tant qu'anticancéreux pour chiens (For Veterinary Use Only), au prix de 20 dollars pour 20 g de poudre. Il a aussi ouvert un site d'informations et d'échanges pour les patients (thedcasite.com). Plusieurs ont avoué avoir acheté le produit vétérinaire. Quelque 200 patients cancéreux à travers le monde ont déjà acheté le produit pour leur propre traitement. Ils veulent aujourd'hui aller encore plus loin. Ils souhaitent constituer sur le site une banque de données qui enregistrerait pour chacun le type de cancer, son histoire médicale, et la dose de DCA.
«Ce n'est pas un vrai essai clinique», reconnaît l'une des organisatrices de la base de données, Susan Hirasawa, elle-même atteinte d'un cancer du sein. L'idée est de rendre accessibles des données pour tous les patients qui voudraient bénéficier du traitement.
Une initiative préjudiciable.
La drôle de tournure prise par l'histoire du DCA soulève de multiples protestations. Selon le Dr Michelakis, ce type d'initiative ne peut qu'être préjudiciable. Des effets secondaires neurologiques ont déjà été rapportés avec le DCA et les patients n'ont aucune garantie quant à la qualité et la pureté du produit. De plus, sans groupe témoin, il sera impossible de conclure. La FDA (Food and Drug Administration) a été alertée, elle est en train d'examiner la situation. George Annas, spécialiste des questions éthiques à l'université de Boston, explique que, même gravement atteints, les patients prennent le risque d'une fin de vie encore plus douloureuse. Plus encore, en termes de santé publique, ce type d'initiative peut décourager ceux qui pourraient participer à de vrais essais cliniques. Enfin, conclut Peter Jacobsen, un autre spécialiste d'éthique (Michigan), les patients sont si désespérés qu'il est impossible d'avoir des résultats exempts de tout biais.
La fonction mitochondriale restaurée
Jusqu'ici, les chercheurs pensaient que les anomalies mitochondriales observées dans les cellules cancéreuses étaient une conséquence plutôt qu'une cause des cancers. Les travaux de l'équipe canadienne reposent sur l'hypothèse inverse. Le DCA, en inhibant une enzyme clé de la mitochondrie, la pyruvate deshydrogenase kinase (PDK), restaure le profil métabolique des cellules cancéreuses. Leur résistance à l'apoptose diminue, ce qui provoque la régression des tumeurs. Les chercheurs pensent avoir découvert un mécanisme fondamental dans la genèse des cancers : «Les cellules cancéreuses ont la capacité de supprimer leur fonction mitochondriale, ce qui altère leur métabolisme et leur donne un avantage significatif en termes de croissance par rapport aux cellules normales», explique le Dr Michelakis. Ce même avantage les protège contre les chimiothérapies standards. En outre, le DCA «n'a aucun effet sur les cellules saines, alors que les médicaments actuels ne sont pas capables de faire la différence entre une cellule cancéreuse et une cellule saine», ajoute-t-il .
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