UN PATIENT AGÉ polypathologique arrive en urgence à l'hôpital. Il n'a pas besoin de passer par le service des urgences, car un lit a été réservé spécialement à son intention. Un classeur est remis au médecin de garde. Il comporte toutes les données nécessaires à la prise en charge du patient. Dans son infortune, le malade a de la chance : il a été inclus dans un réseau qui coordonne les différents professionnels et assure la continuité des soins.
Inscrits pour la première fois dans les ordonnances Juppé de 1996, les réseaux existaient bien avant de façon informelle, pour répondre au cloisonnement entre les différentes structures de soin. En 2000, leur financement est rendu possible par le Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (Faqsv), tandis qu'en 2002 est créée une enveloppe budgétaire distribuée dans des dotations nationales ou régionales (Dndr ou Drdr). Un glissement sémantique s'opère : du réseau « de soins » du départ, on passe en 2002 à des réseaux « de santé » incluant une organisation médico-sociale et des actions de prévention.
Autour du patient.
Le principe du réseau est de décloisonner, dans une région donnée, les différentes pratiques professionnelles pour les organiser de façon transversale autour du patient. Il peut s'agir d'une organisation centrée sur une pathologie (cancer, diabète, maladie d'Alzheimer) ou sur une population spécifique de patients (gérontologie, périnatalité, fin de vie). Certains réseaux sont à la fois pluriprofessionnels et polypathologiques, comme les réseaux de maintien à domicile de personnes dépendantes.
En pratique, lorsqu'un réseau est constitué, on propose aux professionnels de signer une adhésion à titre de personne physique (libéraux) ou morale (établissement, structure médico-sociale), le plus souvent assortie d'une charte qui définit les droits et les devoirs de chacun. Par définition, le réseau est une initiative locale fondée sur le volontariat : son organisation varie donc d'un réseau à l'autre, mais certaines caractéristiques sont récurrentes.
Le professionnel qui adhère au réseau s'engage à dispenser ses soins en coordination avec les autres et à participer aux réunions nécessaires pour cela. Il remplit sa part du dossier patient (parfois informatisé) coordonné par le réseau et partage toutes les informations nécessaires - il a lui-même accès aux données utiles pour sa pratique. Il peut suivre des formations, voire former d'autres professionnels et participer à l'élaboration de protocoles ensuite diffusés dans le réseau. Il bénéficie souvent d'une permanence de soutien (par exemple, téléphonique) pour résoudre des problèmes organisationnels (hospitalisation d'un patient en urgence), techniques (méconnaissance d'une situation de soins) ou psychologiques (difficultés avec un patient en fin de vie, conflits avec des proches). Enfin, dans de nombreux réseaux, en particulier en soins palliatifs, des équipes mobiles interviennent pour soutenir les professionnels du domicile, permettant de limiter les hospitalisations.
Culture commune.
Plus qu'une structure d'organisation, le réseau est avant tout le lieu où se forge une culture commune du soin autour d'un projet partagé. La formation est à ce titre essentielle : elle ne sert pas tant à améliorer les pratiques qu'à réunir autour d'une table des médecins généralistes et spécialistes, infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, hospitaliers ou libéraux, sans parler de tous les autres. On y raconte ses anecdotes, on y relate ses problèmes et on découvre l'altérité dans les soins. « Je me suis rendu compte que les médecins ne savaient pas tout », explique une infirmière, tandis qu'un hospitalier découvre « le niveau technique des professionnels libéraux » qu'il prenait jusque-là pour des amateurs. Au réseau Diabolo (diabète), on inclut les patients et leur famille dans certaines réunions de professionnels : le groupe s'élargit et permet d'aborder des questions inédites. Au réseau Emile (polypathologie), on organise des réunions de staff où chacun vient exposer un cas clinique et le discuter avec ses collègues en présence d'un expert. Au réseau Hippocampe (Alzheimer), on tente de prévenir le burn out des soignants.
Toutes ces initiatives diverses permettent aux professionnels d'optimiser leur action et de redonner un sens à leur pratique. On n'agit plus isolément, mais dans une organisation transversale et pluridisciplinaire qui bénéficie autant aux professionnels qu'aux patients.
Bien sûr, tout n'est pas parfait et le réseau fonctionne s'il est bien cadré et les professionnels motivés. Il entraîne des inégalités puisqu'il résulte d'une action locale volontaire, donc unique - mais c'est aussi ce qui fait son intérêt car il répond à des besoins de proximité. De nombreux paramètres varient d'une structure à l'autre : les réunions rémunérées ou non, l'inclusion ou non de bénévoles, la possibilité ou non de dérogations tarifaires, etc. Mais lorsqu'on est prêt à interroger sa pratique et à partager son savoir, rares sont les cas où les professionnels regrettent d'avoir fait ce choix de soigner au sein d'un groupe élargi.
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