Si les progrès ont été immenses en neurologie, « nous ne connaissons aujourd’hui que la partie émergée de l’iceberg », résume André Nieoullon, président de la Société des neurosciences et directeur du laboratoire de neurobiologie cellulaire et fonctionnelle du CNRS-Université de la Méditerranée. En effet, la compréhension des processus cérébraux se fait aujourd’hui à chaque niveau d’échelle : génétique, moléculaire, cellulaire, réseaux neuronaux, biologie intégrative. « La difficulté est maintenant de connecter ces différents niveaux de connaissances et d’en tirer une interprétation globale », résume-t-il. La difficile accessibilité du tissu cible, sa complexité fonctionnelle et organisationnelle et l’absence de modèles animaux parfaitement transposables expliquent cet état de fait. Les efforts structurels et financiers – encore insuffisants – dont bénéficie la recherche en neurosciences, notamment en France, devraient améliorer cet état des lieux. D’ores et déjà, les pistes d’avenir se dessinent.
Vers une approche transversale des maladies neurodégénératives
Aujourd’hui, la physiopathologie des maladies neurodégénératives est mieux comprise, au point que leur approche devrait s’en voir modifier. La première avancée a été portée par la génomique. Alexis Brice, directeur de l’institut thématique neurosciences, neurologie, psychiatrie, explique : « Des facteurs génétiques ont été identifiés dans certaines maladies comme Alzheimer ou Parkinson. Même s’ils ne concernent pas une majorité des malades, ils apporteront à la fois une meilleure compréhension des mécanismes causaux et le développement de modèles animaux plus probants. » Autre avancée : le décryptage des mécanismes cellulaires. « Malgré des tableaux cliniques très différents, on retrouve des caractéristiques communes dans la plupart des maladies neurodégénératives, explique André Nieoullon. L’agrégation de protéines anormales est la plus connue. » Dans des maladies comme Alzheimer, Parkinson, la démence frontotemporale ou la chorée de Hungtington, la protéine et son site d’agrégation sont hautement spécifiques, mais « laissent entrevoir une classification des maladies non plus selon les symptômes cliniques, mais selon la nature de cette caractéristique biologique, à l’image du cancer » : tauopathies, amyloïdopathies, synucléinopathies… Des pistes thérapeutiques pourraient donc émerger non plus par maladie mais par classe d’anomalie. Enfin, la description de mécanismes environnementaux communs aux différentes pathologies neurodégénératives – inflammation, stress oxydatif, excitotoxicité… – permet d’espérer encore une fois des approches thérapeutiques transversales.
Ciblage
L’élucidation des mécanismes cellulaires et moléculaires va de pair avec deux progrès : celui des thérapies ciblées d’une part, avec des données intéressantes pour certaines immunothérapies actives (Alzheimer) et le développement d’anticorps monoclonaux (Alzheimer, sclérose en plaques). L’efficacité de ces derniers se heurte essentiellement à l’hermétisme de la barrière hématoencéphalique (BHE). Des méthodes de cheval de Troie moléculaires sont développées, et semblent efficaces. Mais il est probable que les nanotechnologies apporteront une ingénierie supplémentaire favorable au passage de la BHE. D’autre part, le développement des biomarqueurs s’approfondit, à la fois issus de la biologie et de l’imagerie. « À terme, ils permettront des diagnostics plus précoces et un suivi de l’efficacité thérapeutique », rapporte Alexis Brice. Cet enjeu essentiel pourrait être encore plus innovant dans le cadre de maladies psychiatriques : « Le concept d’endophénotypes fait l’objet de nombreux travaux et pourrait permettre de générer de nouvelles combinaisons de biomarqueurs de vulnérabilité notamment génétique qui faciliteront à terme le diagnostic et le traitement. »
La thérapie génique
Au printemps 2011 ont été publiées les premières données1 d’un essai de thérapie génique dans lequel des patients parkinsoniens avaient reçu par injection intracérébrale un adénovirus portant le gène codant pour la GAD, l’enzyme favorisant la production de dopamine. « Après des tests animaux probants, les résultats apparaissent modestes chez l’homme, preuve des limites de nos modèles animaux. Cependant, ils confortent la thérapie génique comme piste d’avenir sérieuse », se félicite André Nieoullon. Un essai clinique conduit par une équipe française2 dans l’adrénoleucodystrophie l’a montré précédemment : dans cette maladie de surcharge rare et démyélinisante, l’expression du gène codant pour l’enzyme ALD – importé par lentivirus – a été maintenue après 14 à 16 mois et la démyélinisation centrale stoppée. « La preuve de concept est là, explique Alexis Brice. La transposition à d’autres pathologies moins graves sera difficile, notamment parce qu’elles nécessiteront un ciblage de la population cellulaire déficiente plus précis. » Mais la dynamique existe : des essais cliniques sont actuellement en cours dans la SLA ou dans la myopathie de Duchenne. La thérapie génique constituera probablement in fine l’une des réponses thérapeutiques valides pour ces maladies génétiques caractérisées par une déficience protéique.
Régénération cérébrale
Avec le décryptage des mécanismes de neuroplasticité, dont la neurogenèse, l’idée de pouvoir réenclencher et organiser la régénération cellulaire est un des défis les plus ambitieux que veulent aujourd’hui relever les chercheurs. Les cellules souches en seront un élément facilitateur. De nombreuses études ont été conduites dans des maladies comme Parkinson, la SLA, les traumatismes médullaires, l’épilepsie ou le post-AVC. Depuis l’arrivée des cellules souches pluripotentes induites (IPS) en 2006, l’espoir est encore plus fort, car elles répondent aux problématiques éthiques des cellules embryonnaires immatures et s’avèrent relativement faciles à produire et à spécialiser. « Restent de nombreux mécanismes fondamentaux à décrypter et à maîtriser », modère cependant Alexis Brice : une des principales difficultés est d’augmenter la survie des neurones générés au niveau du tissu cérébral adulte, qui est limitée par insuffisance locale de facteurs neurotrophiques. D’autres problématiques devront aussi être résolues, comme le bon positionnement des cellules transplantées, leur durée de vie, leur fonctionnalité, et leur sécurité.
Entre progrès scientifiques et applications cliniques, les neurosciences semblent être au milieu du gué. La recherche translationnelle, qui commence à se mettre en place en France, sera un atout majeur pour en accélérer le mouvement.
2 N Cartier et coll. Science. 2009 ; 326(5954):818-23.
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