DE NOTRE CORRESPONDANT
LE GOUVERNEMENT socialiste espagnol, contrairement à ce qui avait été annoncé lors des élections générales en mars dernier, ne va pas légaliser l'euthanasie. Le ministre de la Santé, Elena Salgado, l'a expliqué clairement devant le Parlement espagnol, avant d'ajouter que le gouvernement « ne va pas pour autant bloquer d'éventuelles initiatives parlementaires dans ce sens ». Une prise de position, tout en nuances, qui cherche à concilier les doutes de nombreux médecins sur le bien-fondé d'une telle réforme et le succès rencontré par le film « Mar Adentro », d'Alejandro Amenabar.
Pourtant, au début du mois d'octobre, les députés espagnols recommandaient au gouvernement de « développer d'une part le droit d'un patient à exprimer ses volontés en cas de maladie à un stade terminal, y compris le désir de ne pas recevoir de traitement même si cela implique l'avancement, dans le temps, du moment de sa mort, et d'autre part l'application des soins palliatifs ».
Lettres de l'Enfer.
Le film d'Amenabar, sorti le 3 septembre sur les écrans espagnols et couronné le 12 septembre par le grand prix du jury à la 61e Mostra de Venise, a été choisi pour représenter l'Espagne aux Oscars. Il raconte la vie de Ramón Sampedro, marin espagnol tétraplégique à 25 ans, qui lutta en vain pendant plusieurs années devant les tribunaux en réclamant le droit de « mourir dignement ». Il mourut en janvier 1998 après avoir pris, avec l'aide de quelques amis anonymes, la dose de cyanure nécessaire.
Il avait passé près de vingt-huit ans prostré dans un lit. Lucide, il ne pouvait s'exprimer que par la voix et les mouvements de la tête, des yeux et du cou. Il a publié un livre, « Lettres de l'Enfer », écrit avec un crayon maintenu dans sa bouche ; et il a laissé des images filmées de sa mort.
Le débat sur la dépénalisation de l'euthanasie en Espagne a ainsi resurgi avec force au début du mois de septembre. C'est « un hymne à la vie exprimé depuis la mort », commentait le 2 septembre le président du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero, après avoir assisté, avec plusieurs de ses ministres et près de quatre mille invités, à la présentation du film en avant-première à Madrid. Une semaine plus tard, Matilde Valentin, membre de la direction du Psoe (Parti socialiste ouvrier espagnol) et responsable du Bien-être social, affirmait que son parti acceptait d'étudier au Parlement la possible régulation de l'euthanasie. Il s'agissait alors de reprendre le travail, effectué entre 1998 et 2000 (soit juste après la mort de Ramón Sampedro) par une commission sénatoriale spéciale « sur l'euthanasie et le droit à une mort digne ». Le Psoe avait alors accusé le Parti populaire, aujourd'hui dans l'opposition, d'avoir bloqué ces discussions pour éviter toute modification du code pénal espagnol.
Un contrôle impossible.
« Si nous regardons ce qui se passe en Hollande, nous nous apercevons que les abus sont nombreux et que les autorités ne peuvent pas contrôler l'application d'une euthanasie légale ; le gouvernement ne peut pas placer un policier au chevet des malades, à côté du médecin et dans l'intimité de la chambre », dit au « Quotidien » Gonzalo Herranz, professeur d'anatomie pathologique et de bioéthique à la faculté de médecine de l'université de Navarre (dans le nord de l'Espagne) et actuel secrétaire de la Commission espagnole de déontologie. « La pratique de l'euthanasie ne peut pas être compatible avec les valeurs éthiques que régissent l'exercice de la médecine », ajoute-t-il, avant de distinguer les situations qui relèvent de l'acharnement thérapeutique. « De toute façon, dans le cas de Ramón Sampedro, il s'agissait plus d'une aide au suicide que d'une euthanasie, que le code pénal actuel, en vigueur depuis 1996, condamne d'ailleurs par une peine de prison relativement faible, moins de deux ans de détention », conclut ce spécialiste.
« Nous respectons le débat social sur l'euthanasie et sur les droits des personnes dans ce domaine. Mais, à notre avis, le plus important est la qualité des soins qui sont administrés et mon expérience dans les services d'oncologie m'a montré que, chez les malades qui sont arrivés en phase terminale et pour qui les équipes de spécialistes assurent la dignité et la qualité de soins palliatifs, la demande d'euthanasie est très limitée », explique au « Quotidien » le Dr Xavier Gomez Batiste, chef de service de l'Institut catalan d'oncologie, à Barcelone, et président de la Société espagnole de soins palliatifs. « Le risque serait donc que la demande d'euthanasie provienne d'une insuffisance ou même d'une absence de soins palliatifs », insiste Xavier Gomez Batiste, qui note, depuis deux ans, un certain ralentissement dans le développement de ce type de soins en Espagne. « Nous avons actuellement dans notre pays près de trois cent cinquante équipes spécialisées, dont la moitié chargée des interventions à domicile ; mais ces soins, dont l'efficacité n'est plus à démontrer, sont très inégalement développés selon les régions », conclut le médecin. La loi espagnole reconnaît depuis un an les soins palliatifs comme une sous-spécialité, mais les décrets d'application se font encore attendre.
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