« Longtemps, nous avons considéré et enseigné le dogme énoncé par le prix Nobel Santiago Ramon Caral au début du siècle : un axone lésé dans le système nerveux central ne peut repousser. Ce dogme intangible est aujourd'hui remis en cause par un certain nombre de travaux expérimentaux et l'espoir d'une application chez l'homme existe aujourd'hui. » Ainsi s'exprime le Dr Alain Privat qui a présidé cette année les Journées internationales de Deauville sur la pathologie médullaire.
Ce symposium organisé par l'Institut pour la recherche sur la moelle épinière (IRME) entendait rendre compte de l'avancée de la recherche en ce domaine depuis la création de l'institut en 1984.
Certes, il existe encore 1 000 nouveaux cas de blessés médullaires en France chaque année, ce nombre venant s'ajouter aux 40 000 paraplégiques, pour la plupart dus aux accidents de la route (50 %).
Mais la recherche progresse, en particulier sur la physiologie et la physiopathologie de la moelle épinière traumatique et la régénération neuronale.
Premier obstacle : la cicatrice gliale
On sait aujourd'hui que le premier obstacle à la repousse des fibres nerveuses n'est pas l'axone lui-même, mais la cicatrice gliale : structure désorganisée qui entoure la lésion et qui constitue une barrière à la fois physique (fibrose) et biochimique (sécrétion de molécules qui inhibent la repousse, limitant la récupération). Sur un modèle de souris transgéniques incapables de produire cette substance après un traumatisme médullaire expérimental, les chercheurs du laboratoire du Dr Alain Privat ont mis en évidence des possibilités de repousse axonale très importantes. « Nous avons établi la preuve de principe qu'une reconnexion était possible à partir du moment où la cicatrice n'existait pas. L'étape suivante consistera à la rendre possible chez l'homme. »
Un certain nombre de travaux expérimentaux existe pour aider à identifier les protagonistes impliqués dans la production de cette cicatrice (screening de protéines, en particulier). Si la recherche s'organise autour de plusieurs stratégies - contourner l'obstacle de la cicatrice, favoriser la repousse axonale, protéger le motoneurone, restaurer la transmission nerveuse en apportant des neurotransmetteurs en dessous de la lésion (notamment des cellules non nerveuses modifiées par génie génétique pour produire de la sérotonine) -, « le plus important, rappelle le Dr Privat, est que ses avancées sont telles que nous pouvons établir un pont et envisager des applications cliniques ».
L'étude Flamme avec la gacyclidine
Depuis 1992, un réseau a été mis en place en France, sur le modèle de l'urgence cardio-vasculaire, pour coordonner la prise en charge des blessés, du SAMU à l'unité neurochirurgicale. Grâce à ce réseau, une étude contrôlée multicentrique a pu être réalisée. L'objectif de cette étude, Flamme, était d'évaluer la prise en charge précoce et le traitement par un neuroprotecteur (gacyclidine) des blessés médullaires. Une injection de la molécule devait être réalisée dans les deux heures après le traumatisme, suivie d'une deuxième quatre heures après. Elle a inclus 280 patients suivis pendant un an. « Si, globalement, il n'y a pas eu de différence significative entre la gacyclidine et le placebo, les résultats globaux sont positifs. L'amélioration du score moteur de l'ASIA (+ 17,7) est très encourageante, et ce d'autant plus que 72 % des patients avaient une lésion complète », affirme le Pr M. Tadié qui a coordonné l'essai. « Un chiffre frappant de cette étude est celui des patients atteints d'une lésion partielle de la moelle cervicale et qui ont été améliorés : 28 patients sur 29 ont pu remarcher. L'effectif de cette sous-population est, bien sûr, trop faible pour pouvoir conclure à une différence significative, mais le résultat est prometteur. »
Autogreffe de nerf périphérique
Le Pr Tadié est également à l'origine de la première intervention chez l'homme paraplégique, visant à reconnecter un muscle situé au-dessous de la lésion médullaire à la moelle épinière sus-lésionnelle, grâce à la greffe de nerf périphérique. Le greffon autologue (nerf sural) a été implanté, en avril 2000, chez un patient paraplégique complet après un accident survenu trois ans auparavant, au-dessus de la lésion (dorsale basse en T10-T11), puis connecté aux racines motrices L2, L3 et L4. La même opération a été réalisée en controlatéral. Neuf mois après, une contraction volontaire dans les muscles adducteurs et vaste latéral pouvait être enregistrée par l'électrophysiologie. A deux ans de recul, cette contraction semble se renforcer et une ébauche de sensibilité est apparue. « Le résultat reste encore modeste pour le patient, et il est impossible de savoir jusqu'où ira la récupération », prévient le Pr Tadié. Mais on sait désormais qu'une telle intervention est possible chez l'homme. Les recherches dans cette voie doivent être poursuivies.
Conférence de presse de l'IRME (Institut pour la recherche sur la moelle épinière).
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