S IX mois d'investigations menées tambour battant en France, dans des départements touchés ou épargnés par l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), à Londres et à Bruxelles, ont conduit les sénateurs à n'oublier personne au long des quelque 360 pages de leur rapport aux accents inquisitoriaux.
Les Britanniques, au premier chef, « premiers coupables, mais également premières victimes », notent les sénateurs ; leur « cynisme » le dispute à l' « absence de vergogne », eux qui, « en raison d'un moindre chauffage des farines destinées à l'alimentation animale, ont exporté l'épidémie d'ESB en Europe, notamment en France, en même temps que leurs farines contaminées ».
Les responsables européens ; l' « inertie bruxelloise » est fautive du « développement plus aisé » de la contamination.
Le ministère français de l'Agriculture, enfin, plus exactement ses titulaires successifs, Jean Puech, Philippe Vasseur, Louis Le Pensec et Jean Glavany, à travers les gouvernements Balladur, Juppé et Jospin, sur la période 1994-2000.
Principal grief
Les sénateurs reprochent aux gouvernements d'avoir laissé entrer en France, illégalement et massivement, des farines anglaises, à la faveur de fraudes que la commission d'enquête n'a pu exactement vérifier. Mais le principal grief exposé dans le rapport, c'est d'avoir tardé à prendre en compte le facteur de contamination croisée dans le développement de l'épidémie. Celui-ci, rappellent les sénateurs, a été « très vite révélé par les services de contrôle au niveau des usines de fabrication d'aliments, lors du transport des farines, ainsi que dans les exploitations d'élevage ».
« Il a fallu attendre la déclaration du président de la République, le 7 novembre 2000, pour mettre un terme aux atermoiements du gouvernement et interdire enfin les farines et graisses animales dans l'alimentation de tous les animaux d'élevage ».
« La commission d'enquête tient à souligner que plusieurs acteurs, et non des moindres, ont exagéré les conséquences économiques de l'interdiction des farines animales et ont contribué à retarder une décision pourtant inéluctable (...) La volonté de minimiser la maladie à tout prix s'explique par le fait que les services du ministère, chargés dévaluer les risques, étaient les mêmes que ceux qui suivaient les dossiers des industries agroalimentaires. »
Impératifs de santé publique contre logique économique
On ne saurait mieux dire que les impératifs de santé publique ont été muselés au profit de la logique financière des multinationales du secteur.
La charge des sénateurs n'est pas une première. Dans son rapport sur « l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme », publié dès janvier 1997, le Pr Jean-François Mattei préconisait l'interdiction des farines carnées à tous les animaux. « J'ai harcelé le gouvernement en faisant valoir que l'incertitude scientifique qui était alors mis en avant par Glavany pour ne pas trancher immédiatement ne saurait justifier l'indécision politique, déclare-t-il au « Quotidien ». Et pratiquement la mesure a suivi beaucoup trop tardivement. On a perdu deux ans en raison d'une part, du changement de majorité qui est intervenu, puis du changement de ministre et, d'autre part, des pressions économiques qui se sont faites jour, profitant de l'inertie européennes et des dysfonctionnements administratifs français. »
Une nouvelle commission
Entre-temps, une nouvelle commission s'est mise au travail à l'Assemblée nationale, dont le conclusions seront rendues publiques le mois prochain. D'ores et déjà, son président, François Sauvadet, se fait menaçant : « Nos auditions nous ont permis d'établir que des responsables politiques au plus haut niveau ont joué avec la santé publique au nom d'intérêts économiques. Il est temps qu'ils rendent des comptes à leurs opinions publiques et, si nécessaires, à la justice. L'affaire du sang contaminé nous a montré le chemin et nous saurons aller jusqu'au bout. »
Le précédent est dans tous les esprits. « Dans l'affaire du sang, rappelle notamment le Pr Mattei, on a accusé, à tort ou à raison, le gouvernement français d'avoir retardé l'utilisation des tests, au motif que le test français, élaboré à l'Institut Pasteur, n'était pas prêt. Je ne peux pas m'empêcher de penser que le choix du test suisse Prionics dans les campagnes de dépistage ESB, au détriment du test français Biorad, pourtant plus sensible et meilleur, a été guidé par la peur de la critique d'avoir privilégié un test français. »
Après les investigations menées par le législateur, s'achemine-t-on maintenant vers une procédure de justice qui examinerait les carences et les responsabilités devant une juridiction ad hoc, en l'occurrence la Cour de justice de la République ? « Il y a certainement eu des manquements, répond le Pr Mattei, et la justice, effectivement, devra tenter d'éclairer les citoyens, comme elle l'a fait pour l'amiante, pour l'hormone de croissance et le SIDA. Il faut que nous comprenions tout ce qui s'est passé, surtout pour éviter qu'un tel enchaînement puisse se reproduire à l'avenir. »
Une épidémie par « vagues »
Selon une étude effectuée sur la souris par une équipe de l'Imperial College de Londres, dirigée par le Pr John Collinge, le patrimoine génétique déterminerait dans une large mesure le degré de vulnérabilité à la maladie du prion. Ainsi, les 99 cas britanniques déclarés à ce jour de nouveau variant de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ) correspondraient à des patients génétiquement disposés à avoir des périodes d'incubation courtes. De là à en déduire que le nvMCJ pourrait se déclarer plus tard chez d'autres malades, après une période d'incubation plus longue, il n'y a qu'un pas que n'hésitent pas à franchir certains scientifiques. Le microbiologiste Stephen Dealler, par exemple, conclut de cette étude qu'elle renforce son hypothèse, selon laquelle la maladie n'atteindrait son apogée qu'entre 2010 et 2020 et qu'elle pourrait même frapper à long terme jusqu'à 5 millions de personnes.
Pour sa part, le sénat, dans son rapport retient l'extrapolation de 300 cas en France pour les 60 ans à venir.
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