UN PAS EN AVANT, deux pas en arrière, un coup à droite, un coup à gauche. Les futurs médecins n'apprécient toujours pas la valse-hésitation des pouvoirs exécutif et législatif sur la liberté d'installation.
En attendant d'y voir plus clair avec le débat parlementaire sur le PLFSS 2008 (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), les internes, chefs de clinique et étudiants en médecine restent mobilisés, maintenant leur mot d'ordre de grève «totale et illimitée». Une nouvelle journée nationale d'action est programmée à Paris, mercredi prochain, 24 octobre. La première manifestation, le 11 octobre, dans la capitale, avait vu défiler 10 000 blouses blanches.
Toute la semaine a été jalonnée de déclarations officielles ambiguës, sinon contradictoires, nourrissant le sentiment de malaise et de colère de la jeune génération.
Lundi, Roselyne Bachelot était pourtant montée au front en recevant les futurs médecins au ministère de la Santé. La ministre avait confirmé l'organisation d'états généraux de la démographie au début de 2008, assuré que les jeunes seraient associés aux négociations conventionnelles et garanti qu'il n'y aurait ni «coercition» ni «déconventionnement». Mais pas renoncé aux articles du PLFSS prévoyant que la convention fixe les modalités du conventionnement en fonction de la densité médicale (donc de la démographie). En clair, la menace de mesures autoritaires n'était nullement levée dans l'esprit des futurs médecins qui, du coup, ont affiché une volonté intacte de riposte (« le Quotidien » du 17 octobre).
La menace d'un front médical.
Conscient du risque politique à ajouter un front médical au front social, Nicolas Sarkozy est entré dans le bal avec un costume de démineur en chef. Il a lui-même donné des gages aux jeunes médecins, lors d'un déplacement à Bordeaux. «Il n'y aura pas de déconventionnement ni de conventionnement sélectif pour les internes et les externes», a-t-il affirmé(le mot « externes » ayant été ajouté au dernier moment...) . Pas question, a-t-il insisté, de «changer les règles du jeu en cours de route». Fallait-il déduire du propos présidentiel que rien ne serait décidé avant six ou huit ans ? Que nenni, puisque Nicolas Sarkozy se donne… «trois ou quatre ans» pour dresser un bilan de l'efficacité des mesures avant d' «aller plus loin» si nécessaire en limitant le conventionnement dans les zones les plus denses pour les «futurs internes». Encore une fois, les internes n'ont pas du tout été convaincus (« le Quotidien » du 18 octobre).
Tour de passe-passe.
Last but not least, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui examinait cette semaine le PLFSS, s'est livrée à un étrange tour de passe-passe avec les articles litigieux sur la liberté d'installation (32 et 33). Après avoir supprimé lesdits articles à l'initiative de députés de gauche, «dans une confusion totale», selon un participant, la commission des affaires sociales les a rétablis… dès le lendemain, mais complétés. A la demande du gouvernement, il a été ajouté un alinéa précisant que les représentants des internes et des étudiants seront associés de façon délibérative aux négociations conventionnelles (qui commenceront après les fameux états généraux afin de ne pas donner l'impression que tout est joué d'avance).
Rien n'est pourtant réglé. «C'est le flou total, on a l'impression d'être manipulés pour que le mouvement soit cassé», résume Chloé Moulin, vice-présidente de l'ANEMF (étudiants). Un sentiment partagé chez les internes. «Les articles sont toujours là avec quelques aménagements, mais ça ne change pratiquement rien pour nous», confie Lionel Michel, porte-parole de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). Après avoir interpellé le ministère de la Santé et le président de la République, les jeunes médecins essaient d'actionner tous les leviers politiques. Une délégation d'internes a été reçue par le Parti socialiste et par le président de l'Assemblée nationale, le Dr Bernard Accoyer. Celui-ci a assuré qu'il essaierait «d'apporter sa contribution afin que le gouvernement et les internes se mettent d'accord et que chacun puisse retourner à ses occupations».
Le gouvernement sera également attentif à l'attitude des syndicats de médecins installés. Pour l'instant, ces derniers se sont contentés d'un soutien sans participation. Et demain ? «Pour la première fois, un gouvernement est prêt à utiliser l'arme atomique: le conventionnemment sélectif, ce serait une erreur historique», met en garde le Dr Michel Chassang, président de la CSMF. Il en appelle à la «sagesse» des parlementaires et à un retour aux mesures incitatives. La CSMF a formulé 10 propositions alternatives pour concilier liberté d'installation et médecine libérale de proximité (« le Quotidien » d'hier). Pour le président du Syndicat des médecins libéraux (SML), le Dr Dinorino Cabrera, «l'affaire est loin d'être réglée». Mais malgré la «cacophonie sur la liberté d'installation», il pense que cette crise peut être «salutaire» car elle permettra «d'aborder de front des sujets qui étaient esquivés depuis longtemps». Pour ce syndicat, il faut prévenir dès maintenant les jeunes qui vont commencer leurs études médicales qu'ils ne pourront pas s'installer dans les mêmes conditions qu'avant.
Des internes enchaînés.
Plusieurs hypothèses sont maintenant envisageables.
Si la mobilisation des jeunes médecins s'amplifie, gagne d'autres professions de santé (les étudiants kinés et orthophonistes ont déjà rejoint le mouvement), ou trouve un renfort actif parmi les médecins installés, le gouvernement pourrait être tenté de renoncer finalement aux articles du PLFSS sur la liberté d'installation. Quitte à « téléguider » un amendement parlementaire en ce sens.
A l'inverse, le gouvernement peut décider de garder le cap, estimant qu'il faut donner dès maintenant un signal fort sur la lutte contre la désertification. Interrogée par « le Quotidien » sur ses intentions, Roselyne Bachelot explique que le gouvernement a fait des «avancées significatives», qu'il s'agisse d'associer les jeunes aux négociations conventionnelles ou d'exonérer les générations en cours d'un changement de règles du jeu. «Je suis confiante pour la suite», assure-t-elle .
A ce jour, pourtant, la mobilisation des jeunes médecins n'a pas donné de signe d'essoufflement. A Paris, 200 internes et étudiants se sont enchaînés aux grilles de l'Assemblée nationale. A Marseille, ils étaient un millier à organiser un enterrement symbolique de la Sécu ; et, à Lille, une centaine d'entre eux ont neutralisé plusieurs dizaines d'horodateurs au prétexte que «l'Etat ne veut plus payer pour notre santé, ne le payons plus pour nous garer…». Côté imagination, les internes ont déjà gagné la partie.
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