ALORS QUE l’on considérait encore, il y a deux décennies, les nouveau-nés comme insensibles à la douleur, en raison d’une immaturité supposée de leur système nerveux, la pédiatrie est aujourd’hui à la pointe de la recherche dans ce domaine. Depuis que l’Anglais K.J.S. Anand a démontré, en 1987, la réalité de la souffrance chez les nourrissons – les structures anatomiques et les médiateurs de la douleur sont en place très tôt chez l’enfant –, la pédiatrie n’a eu de cesse de prendre en charge la souffrance, emmenant la médecine vers des voies plus éthiques. D’autant que, en France, la circulaire de 1983 pour une meilleure hospitalisation des enfants permettait aux parents d’être présents pendant les soins prodigués. Une mesure efficace puisque «c’est un facteur de réussite des soins», comme le souligne Monique Voyle, cadre de santé (CH Poissy/ Saint-Germain).
Cependant, malgré le plan Douleur 2006-2010, qui stipule noir sur blanc la nécessité de prendre en charge les plus vulnérables (les enfants, mais aussi les personnes âgées et les handicapés), les pratiques médicales semblent être encore à la traîne. «Nous connaissons les moyens pour soulager la douleur, ce qui ne crée pas forcément un changement des comportements, explique Ricardo Carbajal, du Centre national de ressources de lutte contre la douleur (hôpital Trousseau, Paris). Au quotidien, de 40 à 50% seulement des enfants bénéficient de moyens analgésiques dans de grandes unités.»
Et les autres ? La situation n’est pas brillante. Aux dernières Assises de la douleur, en 2005, une expérience pilote menée sur 2 000 seniors victimes de troubles de la communication montrait qu’un tiers d’entre eux étaient douloureux. Dans cette cohorte, 36 % n’étaient pas reconnus comme tels et 37 % n’étaient pas traités. «L’identification est possible grâce aux consultations de la douleur. Mais on y voit rarement certaines tranches d’âge, par exemple, les plus de 85ans», fait remarquer Eric Serra (CHU Amiens). En outre, les solutions apportées par les institutions ne sont pas optimales : «Les premiers médecins qui ont bénéficié de l’enseignement antidouleur sortent à peine de la fac et le Desc**, dédié aux soins palliatifs et à la médecine de la douleur, permettra surtout d’animer les structures spécialisées mais pas de couvrir les besoins de tout le réseau de soins», poursuit E. Serra.
Militer pour la bientraitance.
Le questionnement sur le ressenti et la douleur, prégnant en pédiatrie, fait cruellement défaut dans les autres services. Si la réflexion pour trouver des moyens analgésiques efficaces chez les nourrissons est fructueuse – la crème anesthésiante Emla, en association avec des moyens non médicaux, l’allaitement maternel, le contact peau à peau, ou encore des solutions sucrées, la saccharose notamment, permettent une libération d’opioïdes endogènes –, l’adulte et la personne âgée sont quasiment laissés pour compte. « Les acteurs de santé doivent se remettre en cause et s’appuyer sur les réseaux de soins. La rénovation des Clud (comités de lutte contre la douleur) est en gestation, mais quelle est la réalité de leur fonctionnement? Il faut aussi militer pour la bientraitance du malade âgé en Ehpad», s’indigne à nouveau E. Serra. Le médecin dénonce les critères scientifiques de recherche excluant les plus de 65 ans. «Comment le Comité d’éthique peut-il laisser passer cela?»
Aujourd’hui, la médecine de l’adulte est tellement en recul sur la question de la douleur que les formatrices dans les écoles d’infirmières reconnaissent l’importance du stage de deuxième année en pédiatrie. Peut-être est-il temps de plaider pour un nouvel accompagnement des patients. Après tout, «les soins ne sont rien, rappelle l’anthropologue David Lebreton, s’ils ne consistent d’abord à prendre soin».
* Hôpital 2000, association de recherche et de lutte contre la douleur : www.hopital2000.org.
** Diplôme d’études spécialisées complémentaires.
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