DE NOTRE CORRESPONDANTE
ELLES SONT 140 à défiler chaque mois devant le palais de justice de Dunkerque. Cent quarante veuves de l'amiante. Leurs maris travaillaient dans la sidérurgie, les chantiers navals ou le bâtiment. Une vie entière à manipuler de l'amiante au travail, sans aucune protection. Tous sont décédés d'un mésothéliome, avant même de pouvoir profiter de leur retraite. Aujourd'hui, leurs femmes réclament justice.
« J'ai besoin de cela pour faire mon deuil, confie Agnès, veuve depuis cinq ans. Mon mari a été empoisonné, après trente-cinq ans passés à la Sollac. L'employeur savait ce qu'il faisait, il a fermé les yeux. Seul le travail comptait. Pour eux, la vie humaine n'était rien. Tant qu'ils n'accepteront pas leur tort, je ne pourrai pas faire mon deuil. »
En 1997, cinq plaintes ont été déposées au tribunal de Dunkerque. Toutes ont débouché sur un non-lieu, en décembre 2003, confirmé en appel à Douai six mois plus tard. Un déni insupportable pour toutes ces femmes qui ont partagé la lente agonie de leur mari. Alors, comme les « folles de mai » en Argentine, elles ont décidé de manifester chaque mois, sous les fenêtres du tribunal de Dunkerque. Avec comme seule banderole la photographie de leur mari décédé. Dignes et silencieuses, elles défilent tous les mois, pour que justice se fasse, que les responsables de toutes ces vies brisées soient condamnés.
Dix morts par jour.
« Chaque jour, en France, dix personnes meurent de l'amiante. Depuis la dernière manifestation des veuves, en décembre dernier, 280 nouvelles victimes sont mortes. Comment se fait-il que la justice étouffe le dossier, s'insurge Pierre Pluta, président de l'Association régionale de défense des victimes de l'amiante du Nord - Pas-de-Calais, qui regroupe 2 000 familles. Si les dossiers d'indemnisation se multiplient auprès des tribunaux des affaires sociales (800 dossiers de faute inexcusable de l'employeur sont en cours de jugement à Dunkerque) , les procédures pénales n'avancent pas. »
De nouvelles plaintes seront déposées le 2 février prochain pour empoisonnement et homicide. L'Ardeva espère que, cette fois, la procédure suivra son cours. Car l'amiante continue de faire des victimes.
Avec les veuves défilaient de nombreux salariés du Dunkerquois, touchés à leur tour par la maladie. Comme Robert, 55 ans, qui a appris il y a deux ans, qu'il était atteint d'un mésothéliome. « J'ai travaillé pendant trente-cinq ans dans la réparation navale, sans masque et sans aucune protection. Aujourd'hui, je suis en invalidité. Et j'en veux à mes employeurs. Ils savaient ce qu'ils faisaient et ils n'ont pris aucune mesure de sécurité. Maintenant, je veux que l'on reconnaisse leur faute. »
Des mises en examen
« La justice travaille discrètement et fort sur ce dossier de l'amiante, contrairement à ce que j'ai pu entendre ou lire », a souligné le procureur de la République de Lille en commentant la mise en examen d'Alstom Power pour « mise en danger de la vie d'autrui » dans le cadre d'une enquête sur un défaut de protection des salariés contre l'amiante dans une de ses anciennes usines, à Lys-lez-Lannoy (Nord).
Comme dans de nombreux autres cas, la « faute inexcusable » de l'entreprise a été reconnue par le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) et les salariés (ou leur famille) ont reçu des indemnités. Aucune condamnation au pénal n'est encore intervenue dans une affaire liée à l'amiante. Mais les mises en examen pourraient se multiplier. A Jussieu, il aura fallu huit ans d'instruction et plusieurs juges successifs avant que ne soient prononcées, le 12 janvier, les mises en examen, toujours pour « mise en danger d'autrui », des universités Paris-VI et Paris-VII et de l'Institut de physique du globe, en tant que personnes morales.
Aux Etats-Unis, George Bush vient d'ériger en « problème national » les procès de l'amiante, en raison de leur coût évalué à 80 milliards de dollars. Il y aurait actuellement plus de 8 400 entreprises poursuivies et 74 ont déjà fait faillite à cause des indemnisations auxquelles elles ont été condamnées.
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